La véritable histoire d'Ernesto Guevara
souhaité, en aucune occasion, construire un État de droit où des secteurs divergents, une droite et une gauche pour ne pas les nommer, pourraient s’affronter. Seul un État socialiste dirigé par les seuls détenteurs de la « vérité » révolutionnaire trouvait grâce à ses yeux.
Sa relative sérénité d’alors, voire sa passivité lors des combats, ne contredisent pas pourtant sa préférence pour de telles options politiques révolutionnaires. D’un Guatémaltèque, il écrit par exemple qu’il est « assez intelligent pour se rendre compte que le seul chemin idéal pour la classe ouvrière est le communisme ». Dans ce milieu de déclassés latino-américains, de réfugiés, de combattants en stand-by entre deux guérillas, c’est en gros ce qu’on pense. Un petit zeste de racisme sur ces idées marxisantes et tous pouvaient, avec Guevara peut-être, crier dans la rue : « Gringos, asesinos, fuera !» (gringos assassins, dehors !) .
Il pensa, nous dit-on, adhérer au PC guatémaltèque, mais il n’était guère enthousiasmé à l’idée de se soumettre à une discipline de fer. Il se contenta de discuter avec Harold White, un Américain en retraite, ancien professeur de sciences politiques dans l’Utah, sur Marx et Engels, Lénine et Staline.
Et, surtout, il souhaitait tant aller en Europe ou aux États-Unis ! New York le tentait. Ou Paris, voire Madrid… Ce qui comptait, c’était de gagner quelques sous puis partir « quelque part ». Ses projets étaient aussi flous que sa vision du monde. Cela ne l’empêchait pas de « savoir » que l’orage allait éclater sur l’Amérique du Sud, et qu’une guerre mondiale était inévitable. Il ferait plus tard d’autres prédictions, aussi mauvaises que celle-ci. Il n’était pas le premier marxiste à en faire, à commencer par Marx lui-même : Guevara continuera de prédire une révolution sur l’ensemble du continent, quand il sera à Cuba, et il annoncera lui-même un niveau de vie dans l’île supérieur à celui des États-Unis.
Le Mexique et Castro
Il n’est pas conforme à la vérité en tout cas de faire de ses voyages en Amérique latine une sorte de geste initiatique où il aurait rencontré la misère et sa cause – l’impérialisme – et aurait donc décidé de les combattre, conformément à une légende authentifiée par son père insistant lourdement sur une phrase qu’aurait lancée son fils au moment de son dernier départ : « Point de départ d’un soldat de l’Amérique ! »…
Après le Guatemala, Guevara passe au Mexique, cherche encore à se rendre en Espagne – l’attrait de l’Europe est « presque une nécessité biologique » pour lui, dit-il. À défaut, il monte au sommet du Popocatépetl, le plus haut des volcans mexicains. Les inconditionnels du Che disent qu’il s’entraînait déjà à la guérilla… Pourtant Castro a confié récemment à Ignacio Ramonet qu’il avait essayé plusieurs fois d’atteindre le sommet mais qu’il n’y est jamais parvenu… À lire entre les lignes 44 !
Arrive enfin ce jour de juillet 1955 où il rencontre Fidel Castro. Quelques heures suffisent à ce dernier pour entraîner le vagabond convaincu mais indécis dans son mouvement révolutionnaire. Guevara et Castro se complétaient bien, il est vrai : ce dernier voulait diriger, et, fort de sa bonne étoile, mener des hommes à la victoire. Guevara cherchait la fraternité, l’amitié indéfectible, la confiance. L’un voulait être le leader. L’autre faire partie d’un groupe qui suivrait un leader. Tenait-il désormais ce leader ? Il ne le tenait pas, en fait. Il était tenu. De cette rencontre, Régis Debray souligne l’importance : « Sorti par un caudillo pragmatique des gauchismes d’adolescence, cet outsider sans territoire ne lui devait rien de moins que son entrée dans le monde réel et la possibilité d’y faire ses preuves 45 . » Il avait manqué d’un père qui sache ce qu’il voulait. Il en trouvait enfin un, de rechange, avec qui il surmonterait les obstacles difficiles qui ne manqueraient pas de se dresser devant leurs projets de révolution. Un débarquement sur les côtes de Cuba pouvait bien paraître une idée fantasque : Guevara n’y prêtait guère attention. Depuis quand les fantasmes devaient-ils être contestés par la réalité ?
Celle-ci se rappela pourtant à son bon souvenir quand Hilda lui annonça qu’elle était enceinte. Il ne
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