La véritable histoire d'Ernesto Guevara
l’ombre, mais ce n’était pas pour arrondir les angles ou donner une apparence bourgeoise à la Révolution en cours : Guevara agissait, lui, pour que la Révolution aille plus loin, plus vite, et se dote d’armes contre lesquelles ses ennemis ne pourraient rien. De connivence avec Raúl, le bon, l’idéaliste et romantique guérillero travaillait en secret à renforcer les liens entre la direction castriste et les communistes du PSP.
Ce n’est pas sans l’accord de Fidel qu’il s’associa aussi à Raúl, Camilo Cienfuegos et Ramiro Valdés pour rencontrer Victor Pina, un des responsables du PSP, afin de mettre sur pied un service de renseignements digne de ce nom. Ramiro Valdés allait en devenir le chef avec comme adjoint Osvaldo Sanchez, membre du Bureau politique du PSP et chef de son « comité militaire » 75 .
Le 13 janvier 1959, Guevara inaugura à la Cabaña une « académie militaire et culturelle ». Elle se proposait d’assurer un minimum de connaissances de base aux jeunes recrues mais aussi de leur donner une formation politique, grâce à des cours d’histoire, de géographie et d’économie. Foin des plaisirs vulgaires ! Il mit en route des projections de films, des concerts, des expositions, et même des activités sportives, manière de bien encadrer la troupe et de lui enseigner les rudiments de la stricte discipline qu’il prônait.
Or ceux qui dirigeront cette académie n’étaient autres que des gens du PSP, une fois de plus. Eux, n’étaient pas réactionnaires. Eux, étaient disciplinés. C’est Armando Acosta, déjà son commissaire politique dans l’Escambray, un petit massif montagneux au centre du pays, qui en fut nommé l’administrateur. Quelques semaines plus tard, Guevara commença à mettre en place des conférences de plus haut niveau pour les officiers, conférences de formation idéologique évoquant Lénine, les leçons qu’on pouvait tirer de la révolution de 1917, mais aussi les pays « socialistes », à commencer par l’URSS et la Chine…
Guevara et les communistes
Les liens de Guevara avec le PSP ne se démentiront pas. Il s’enticha notamment d’un jeune membre du Parti, Garcia Vals, qu’il nomma lieutenant et qu’il choisit pour être son assistant afin de suivre les travaux de la commission chargée d’élaborer la réforme agraire.
Sans doute, les membres du Parti devaient-ils regarder avec un certain dédain les prétentions théoriques du Che qui substituait l’armée rebelle à la classe ouvrière comme avant-garde révolutionnaire. Mais il était désireux de travailler avec eux et se faisait leur avocat auprès de Fidel. La question de l’avant-garde véritable, donc de la classe dirigeante, était ainsi jugée quelque peu théorique.
Un peu plus tard, quand son père lui rendit visite, il comprit que son fils avait trouvé sa voie : « Il s’était transformé en un homme dont la foi en la victoire de ses idéaux avait atteint des proportions mystiques 76 . » Mystiques ? Au sens d’irrationnelles, sans doute. Cela concernait l’avenir et la victoire qu’il promettait avec une conviction absolue. Pour le moment, loin du mysticisme, il s’agissait – en tout cas à ses yeux – de rendre coup pour coup dans un combat à la vie à la mort entre Révolution et contre-révolution. D’où la fameuse formule qu’un peu plus tard il martèlera à la tribune de la XIX e Assemblée générale de l’ONU, sur le « droit » de la Révolution à fusiller : « Oui, nous avons fusillé ; nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra. »
Ce n’est pas un fossé, c’est un gouffre qui sépare le doux archange qu’on arbore sur un tee-shirt et sa revendication du droit à la liquidation des adversaires politiques.
V
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Le « pigeon » voyageur
Pigeon, n. m. Fig.
Homme qu’on attire dans quelque affaire
pour le dépouiller, le rouler.
(Petit Robert)
A près la Cabaña et le « sale boulot », Guevara fut envoyé en mission autour du monde. Des vacances dorées en quelque sorte. Et l’honneur de représenter dans le monde la nouvelle Cuba. Mais certainement aussi un éloignement organisé. Non que Guevara fût véritablement dangereux aux yeux de Castro, mais celui-ci pouvait craindre le mot de trop que la presse internationale reprendrait ou la mauvaise humeur que pouvait toujours manifester ce caractère entier, alors qu’il s’agissait seulement pour le moment de jouer
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