La Volte Des Vertugadins
incorruptiblement sur nos chambrières, sa fidélité
à Greta le cuirassant contre les mines et les moues de nos mignotes.
J’étais si proche de Greta dans mes maillots et enfances,
buvant la vie à ses mamelles, Frédérique sa fille, à l’une, et moi à l’autre,
que je n’aurais su dire si elle était grande ou petite, blonde ou brune. On
dira que j’étais trop jeune et que je ne peux guère me souvenir de ce temps-là.
Oh ! que si ! Je tétai Greta jusqu’à l’âge de quatre ans. Et bien je
me ramentois la ferme, douce et odorante chair dans laquelle je crochai mes
menottes, les rondeurs sur lesquelles mon œil ébloui était collé et le
sucement, lui-même délicieux, qui amenait le bon lait dans ma bouche. Je ne
devins, hélas, conscient de ces délices, que lorsqu’on m’en priva et c’est alors
que, prenant par force forcée du recul, je pus voir enfin ma nourrice.
Quelle grande et puissante garce c’était ! Le cheveu
blond, l’œil bleu, le teint rose, l’épaule large, la poitrine profonde, le
tétin vaste, la hanche ronde, la jambe forte, et une taille, un poids, un
volume tout à fait idoines pour être l’épouse d’un géant ! Sans compter le
cœur qui battait généreusement sous ses côtes et dans le quotidien de la vie,
l’humeur la plus égale, le regard le plus tendre, et bien que sortant de ce monument
alsacien, la plus douce des voix.
Trouvant sans doute difficile de prononcer le
« gr » de son nom, je l’appelai « Ta » et cette
simplification me gouvernant partout, j’appelais mon père « Pa »,
« Iette », la Mariette du cuisinier Caboche et « Ise », peu
respectueusement, la Duchesse de Guise.
Mariette venait immédiatement après Greta dans mes
affections domestiques. Comme son mari Caboche et le cousin de ce dernier,
Lachaise, notre herculéen cocher, elle avait vu le jour en Auvergne. Brune de
peau et de cheveu, petite, potelée, rebondie, mais le muscle ferme sous la
chamure, elle était aussi dure et noire que le basalte de Saint-Flour, et si
bien fendue de gueule que pas un bon bec de Paris n’aurait pu lui en remontrer.
Raison pour laquelle mon père l’avait choisie pour aller à la moutarde,
laquelle lui montait vite au nez, si le boucher, le légumier ou la haranguière
essayaient de la tromper.
C’était la coutume alors pour les familles nobles de Paris
de s’en remettre à un pourvoyeur du soin de les envitailler quotidiennement de
tout. Mais mon père, huguenot « repenti », qui n’avait consenti à
aller à contrainte (entendez : à la messe) que pour mieux servir Henri
Troisième, était, en bon réformé, trop ménager de ses deniers, pour faire confiance
à un de ces intendants dont il pensait qu’il le volerait, y ayant tant de
facilités. Il ne courait point ce risque avec Mariette qui n’était pas femme,
dit-il « à ferrer la mule ».
— Ferrer la mule. Monsieur mon père, dis-je, qu’est
cela ?
— Petit parler parisien, mon fils ! dit-il en
riant, les forgerons qui ferrent les mules en Paris sont tenus pour les plus
grands voleurs de la création, surpassant même, en cette capacité, les
bateliers de la rivière de Seine, tous mauvais garçons.
— Et deviennent-ils riches à ce jeu ?
— Je le crois ! Et certains jusqu’à s’acheter une
terre en province, à en prendre le nom et à trancher du noble.
— Tant bonne est la pratique ?
— Mieux que cela ! Vu que la mule est le cheval du
pauvre, qu’il y en a à Paris plus que de chevaux, des dizaines et des dizaines
de milliers et qu’en outre la crotte boueuse et nauséeuse qui recouvre les
pavés de nos rues suce le fer des bêtes et le leur quitte des pieds, avant
qu’il soit usé.
Mon père qui voulait que je fusse instruit de tout, pas
seulement aux Belles Lettres dont je fus nourri dès l’enfance, mais de toutes
les choses de l’existence, même les plus modestes, me fit, béjaune que j’étais
encore, accompagner Mariette au Marché Neuf, des galoches aux pieds en raison
de l’épaisse crotte des rues et un mouchoir imbibé de vinaigre à la main pour
me le mettre sur la face, au cas où les mauvaises odeurs des carrefours me
suffoqueraient. De l’autre main, je devais tenir et ne lâcher sous aucun
prétexte la gigantesque pogne de Lachaise. Nos deux soldats qui, d’ordinaire,
escortaient Mariette au marché, cheminaient, bottés et armés, derrière nous et
Mariette avançait devant nous la première, le pas
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