L'âme de la France
évêques, ses gendarmes, sa Légion d'honneur, son Code civil et sa Cour des comptes (1808) pour tenir toute la nation serrée.
Il promeut aux « dignités impériales ». Il dote les siens. Car l'Empire des Français entend bien devenir celui d'une dynastie.
Dès 1807, on s'inquiète, dans l'entourage de Napoléon, de sa descendance. On songe au divorce de l'Empereur d'avec Joséphine de Beauharnais, incapable de donner naissance à un fils.
Napoléon a marié son frère Louis, roi de Hollande, à Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine, et en 1808 naîtra de cette union Louis-Napoléon, futur Napoléon III, qui régnera jusqu'en 1870.
À cette réalité dynastique, on mesure le prolongement, durant tout le xix e siècle français, de ce qui s'est joué au cours de ces années légendaires.
Napoléon renforce – aggrave – les traits de la monarchie, qu'il associe à l'héritage révolutionnaire. Et toutes les intrigues de la Cour, les pathologies politiques liées au pouvoir d'un seul, s'en trouvent soulignées.
Car Napoléon a la vigueur brutale d'un fondateur de dynastie. C'est un homme d'armes. Il a conquis son pouvoir par l'intrigue et le glaive, non par la naissance.
Il est vu et se voit comme un « homme providentiel », une sorte de substitut laïque – même s'il a été sacré par le pape – au monarque de droit divin.
Dans son entourage, il y a d'ailleurs des régicides.
Ainsi ce Fouché, homme de toutes les polices, auquel Napoléon reproche de susciter rumeurs et intrigues. Ou bien ce Talleyrand qui a célébré comme évêque d'Autun la fête de la Fédération (14 juillet 1790) et que, publiquement, l'Empereur rudoie :
« Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi ! Vous avez toute votre vie trompé, trahi tout le monde. Je vous ai comblé de biens et il n'y a rien dont vous ne soyez capable contre moi. Vous mériteriez que je vous brisasse comme du verre, j'en ai le pouvoir, mais je vous méprise trop pour en prendre la peine. Oh, tenez, vous êtes de la merde dans un bas de soie » (janvier 1809).
Après la longue durée monarchique et la période sanglante de la Révolution, ces années napoléoniennes achèvent d'éclairer la nation sur la nature du pouvoir politique.
Elle en mesure l'importance et en même temps s'en méfie. Elle s'en tient à distance tout en rêvant à l'homme placé par le destin au-dessus des autres et qui, un temps, est capable de l'incarner, elle.
Elle rejette et méprise ceux qui grouillent et grenouillent autour de lui. Elle n'est pas dupe du pouvoir, qu'il se présente comme monarchique ou révolutionnaire.
Mais elle continue d'espérer en l'homme providentiel capable de résoudre ses contradictions, de la porter un temps au-dessus d'elle-même, dans l'éclat de sa gloire.
Napoléon conforte ce penchant national.
Il l'encourage par une propagande systématique.
Les Bulletins de la Grande Armée (le premier date d'octobre 1805) rapportent ses exploits, reconstituent les batailles pour en faire autant de chapitres de la légende.
Le 30 décembre 1805, le Tribunat lui décerne le titre de Napoléon le Grand. On fête le 15 août la Saint-Napoléon. On célèbre ses victoires par des Te Deum et des salves de canons. On édifie des arcs de triomphe à sa gloire.
Car la réalité quotidienne de ces années, c'est la guerre dans toute l'Europe.
Les coalitions anti françaises se succèdent, rassemblant, selon les séquences, l'Autriche, la Russie ou la Prusse autour de la clé de voûte qu'est l'Angleterre.
Ainsi se dessine une géopolitique européenne qui perdurera et dont Napoléon est à la fois l'héritier et le concepteur.
L'âme de la France en épouse les contours.
Il y a l'Angleterre, qu'on ne peut conquérir (le 21 octobre 1805, Trafalgar a vu le naufrage de la flotte franco-espagnole). Elle est l'organisatrice de la résistance à cet effort d'unification du continent européen qu'est aussi la conquête impériale. Que Londres rallie la totalité des puissances européennes ou seulement quelques-unes, son dessein reste inchangé : réduire les ambitions françaises, empêcher la création du Grand Empire, s'appuyer sur l'Autriche, la Prusse, la Russie.
À rebours, Napoléon s'efforce de détacher l'une ou l'autre de ces puissances de la coalition anglaise.
Il annexe. Il se fait roi d'Italie. Il couronne ses frères. Il est le protecteur de la Confédération du Rhin. Il songe déjà à un mariage
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