L'âme de la France
révolutionnaires n'ont représenté que des minorités.
Rien de comparable au mouvement qui avait embrasé le pays en 1789 et l'avait soulevé en 1792.
Peu à peu, acquérant une expérience politique qu'aucun autre peuple au monde ne possède à un tel degré, et qui fait de la France la nation politique par excellence, la majorité des Français aspire en fait à la paix civile.
Dans ses profondeurs, le peuple a découvert que le vote peut être un moyen pacifique de changer les choses, lentement et sans violences.
Ainsi, cette nation révolutionnaire qui périodiquement dresse dans Paris des barricades est aussi désireuse d'ordre.
Elle continue d'osciller, comme si après la gigantesque poussée révolutionnaire de 1789 elle n'avait pas encore recouvré son équilibre. Les journées d'émeutes – les révolutions – se répètent, les régimes se succèdent, mais, dans le même temps, elle ne souhaite plus retomber dans les violences généralisées.
À Paris, grand théâtre national, elle met en scène la révolution comme pour se souvenir de ce qu'elle a vécu.
Puis elle interrompt le spectacle et sort du théâtre aussi vite qu'elle y est entrée.
Elle veut, au fond, vivre tranquillement, jouir de ses biens, de son beau pays.
C'est cette réalité contradictoire qui caractérise, au mitan du xix e siècle, l'âme de la France.
3
RENOUVEAU ET EXTINCTION DU BONAPARTISME
1849-1870
49.
À partir de décembre 1848, la République est donc présidée par un Bonaparte que le peuple a élu au suffrage universel.
Peut-on imaginer que cet homme-là, symbole vivant de la postérité napoléonienne, incarnation de la tradition bonapartiste, se contentera d'un mandat de président de la République de quatre années, non renouvelable ?
Cependant, son entreprise – conserver le pouvoir au-delà de 1852, fût-ce par le recours au coup d'État, et peut-être proclamer l'Empire – paraît aléatoire et difficile.
Les élites politiques conservatrices sont désireuses de garder, par le moyen des Assemblées, la réalité du pouvoir. Elles sont favorables à un régime – monarchie ou république – constitutionnel dans lequel le président ou le monarque n'aura qu'une fonction de représentation.
Elles se défient d'un Bonaparte, élu d'occasion, qu'elles espèrent manœuvrer à leur guise.
Elles craignent davantage encore les « rouges », les partageux, ce peuple auquel on a dû accorder le droit de vote.
Elles aspirent à l'ordre.
Leur parti s'appellera d'ailleurs le parti de l'Ordre.
Mais Louis Napoléon Bonaparte trouve aussi sur sa route ces « démocrates socialistes – « démocsoc » – qui se réclament de la Montagne et de 1793, qui aspirent à une république sociale et constitueront le parti des Montagnards, hostile à la fois au prince-président et au parti de l'Ordre.
C'est donc un jeu politique à trois qui va commencer dès le lendemain de l'élection de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.
Partie difficile, car il existe un quatrième joueur, le plus souvent sur la réserve, mais toujours sollicité par les trois partis – le bonapartiste, le parti de l'Ordre et les Montagnards : il s'agit du peuple.
Et puisqu'il y a suffrage universel, la bataille politique s'étend des villes aux campagnes, là où se concentre la majeure partie de la population.
Celui qui tient et convainc le monde paysan, celui-là peut imposer ses choix.
Le suffrage universel est ainsi un facteur d'unification politique de la nation, et, en même temps, il divise le monde paysan en partisans de l'un ou l'autre des trois « partis ».
Les paysans apporteront-ils toujours leurs voix à un descendant de Napoléon (ils viennent de le faire en décembre 1848), ou aux représentants des notables, ou encore seront-ils gagnés par les idées socialisantes des « démocrates socialistes », et suivront-ils les Montagnards ?
Les quatre années qui vont de décembre 1848 à décembre 1852, date de la proclamation du second Empire, sont décisives pour la vie politique nationale. C'est là, autour de la République, du suffrage universel, du conflit entre bonapartisme, parti de l'Ordre et Montagnards, que se précisent les lignes de fracture politiques de la société française.
L'âme de la France contemporaine y acquiert de nouveaux réflexes.
Les thèmes de l'homme providentiel – au-dessus des partis – et du coup d'État (celui que va
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