L'âme de la France
entend redonner la parole au peuple.
Il retrouve de cette manière l'une des sources du bonapartisme, qui veut tisser un lien direct avec la nation en se dégageant de l'emprise des partis.
Il dispose dans l'armée – épurée par ses soins – du soutien que lui apporte le « souvenir napoléonien ».
Et parce qu'il est au cœur de l'institution – à l'Élysée –, il va pouvoir préparer son coup d'État, exécuté le 2 décembre 1851, jour anniversaire d'Austerlitz.
Des députés, dont Thiers, sont arrêtés.
Ceux qui résistent et tentent de soulever le peuple parisien sont dispersés par la troupe, qui tire.
Le député Baudin est tué sur une barricade pour avoir montré au peuple comment on meurt pour 25 francs par jour, cette indemnité parlementaire que le peuple, spectateur, conteste.
Sur les boulevards, dans Paris, afin d'empêcher par la terreur l'extension de la résistance, les troupes de ligne ouvrent le feu sur la foule des badauds (trois à quatre cents morts).
La résistance est vive dans les départements pénétrés par les idées républicaines, ceux qui ont voté « rouge » en 1849. La répression est sévère : 84 députés expulsés, 32 départements en état de siège, 27 000 « rouges » déférés devant des commissions mixtes (tribunaux d'exception : un général, un préfet, un procureur), dix mille déportés en Algérie et en Guyane, des milliers d'internés et d'exilés.
Mais le suffrage universel est rétabli, et, le 20 décembre, 7 500 000 voix approuvent le coup d'État, contre 650 000 opposants. On compte un million et demi d'abstentions.
Un an plus tard, un nouveau plébiscite – 7 800 000 oui – permet à Louis Napoléon, devenu Napoléon III, de rétablir l'Empire. Celui-ci est proclamé le 1 er décembre 1852, cinquante-huit ans après le sacre du 2 décembre 1804.
C'est le renouveau du bonapartisme, mais aussi le début de son extinction.
Car la résistance au coup d'État et la rigueur de la répression marquent une rupture irréductible entre une partie du peuple et la figure de Bonaparte.
Certes, l'immense succès des plébiscites de 1851 et 1852 montre bien que le mythe demeure, que l'homme providentiel, la figure d'un empereur tirant sa légitimité du peuple consulté dans le cadre du suffrage universel, continuent de fonctionner.
Mais les républicains ont une assise populaire.
La grande voix de Victor Hugo, l'exilé, va commencer de se faire entendre.
Le 2 décembre 1851 sera qualifié de « crime ».
Louis Napoléon est un « parjure » que Marx désigne sous le nom de Crapulinsky.
Louis Napoléon a beau répéter : « J'appartiens à la Révolution » et décréter la mise en vente de tous les biens immobiliers des Orléans, on sait aussi que les préfets ont reçu l'ordre, dès le 6 janvier 1852, d'effacer partout la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Et le ralliement de la plupart des conservateurs du parti de l'Ordre à l'Empire confirme que ce régime n'est pas au-dessus des « partis » : il est « réactionnaire ».
On le sait, même si on le soutient ou si on l'accepte par souci de paix civile.
Mais les républicains refuseront ce « détournement » du suffrage universel. Et, fruit de cette expérience, ils garderont une défiance radicale à l'endroit du plébiscite, de la consultation directe du peuple mise au service d'un destin personnel.
L'âme de la France contemporaine vient d'être profondément marquée. La République avait massacré les insurgés de juin 1848, ce qui avait conduit le « peuple » à choisir pour président Louis Napoléon Bonaparte.
Après le coup d'État du 2 décembre 1851, il y a désormais, minoritaire mais résolu, un antibonapartisme populaire.
Ce Napoléon III, c'est Badinguet, Napoléon le Petit !
La colère et le mépris qu'il suscite renforcent le désir de République et le souvenir de la Révolution.
50.
Au lendemain de la création du second Empire, les Français ne croient pas à la longévité de ce régime né d'un coup d'État sanglant et que deux plébiscites ont légitimé.
L'âme de la France est une âme sceptique.
Depuis le 21 septembre 1792, les citoyens de cette nation « politique » ont vu se succéder la I re République, le Directoire, le Consulat, l'Empire, une monarchie légitimiste, une monarchie orléaniste et constitutionnelle, la II e République et enfin le second Empire.
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