L'âme de la France
base de la monarchie constitutionnelle pour la préserver, cependant que ses adversaires républicains et révolutionnaires, de leur côté, se renforcent. Presse « communiste », troubles dans les villes ouvrières, émeutes de la misère : les signes de tension se multiplient.
Des anciens ministres sont accusés de concussion. Un modéré – Duvergier de Hauranne – peut écrire :
« Tous ces scandales, tous ces désordres, ne sont pas des accidents, c'est la conséquence nécessaire, inévitable, de la politique perverse qui nous régit, de cette politique qui, trop faible pour asservir la France, s'efforce de la corrompre. »
Dès le mois de janvier 1847, une « campagne de banquets » mobilise l'opinion modérée sur le thème des « réformes ». L'un de ces banquets, prévu à Paris le 14 février 1848, est interdit. Un manifeste réformiste est lancé.
Il ne s'agit pas de renverser Louis-Philippe, mais de le contraindre à renvoyer Guizot, à élargir le corps électoral, à donner vigueur et perspective à la monarchie constitutionnelle.
Mais Paris, quand il voit les corps des manifestants tués au cours d'une fusillade avec la troupe, s'enflamme.
La ville est celle des minorités révolutionnaires. Ce sont elles qui agissent, débordant les réformistes.
L'Hôtel de Ville est envahi. Lamartine et les manifestants proclament la république le 24 février.
Ce qui avait été manqué en juillet 1830 réussit en février 1848. Par un bel effet d'éloquence, Lamartine parvient à faire écarter le drapeau rouge que les manifestants voulaient d'abord imposer à « leur » république. Elle restera « tricolore ». Mais on mesure, à l'ambiguïté et à la complexité de ces événements, que rien n'est tranché.
La révolution de Février n'est qu'une émeute de plus qui a réussi. Ce succès est dû au fait que la France rurale est restée passive, que les forces de l'ordre ont été hésitantes, et que l'assise sociale et politique du pouvoir s'est divisée.
Dans le même temps, cette « révolution » entre dans le légendaire national. La république et la révolution sont associées dans la reconstruction de l'événement. Dans cette « imagerie », il a suffi au peuple de se révolter, de dresser des barricades dans Paris, pour l'emporter sur le pouvoir.
48.
Quel peut être le destin de cette république officiellement proclamée le 26 février 1848 et née d'une révolution ambiguë ?
Elle est la deuxième, et elle fait resurgir tous les souvenirs de la Grande Révolution et de la I re République, celle de 1792. Mais son sort sera scellé avant la fin de l'année, puisque le 10 décembre 1848 Louis-Napoléon Bonaparte en sera élu président par 5 434 000 voix.
Les autres candidats, – Cavaignac, Ledru-Rollin, Raspail et Lamartine – rassemblent respectivement 1 448 000, 371 000, 37 000, et, pour le dernier, Lamartine, le héros de Février, celui qui a réussi à maintenir le drapeau tricolore... 8 000 voix !
C'est une période charnière que ces dix mois de l'année 1848.
Ils dessinent une fresque politique qui sera souvent copiée dans l'histoire nationale, parce qu'elle met en jeu des forces et des idées qui resteront à l'œuvre durant le reste du xix e et tout le xx e siècle.
Au cours de ces dix mois, les illusions de Février sont déchirées.
Deux mesures capitales permettent ce retour à la réalité.
D'abord, sous la pression populaire, et parce qu'il faut bien satisfaire ces ouvriers, ces partisans de la république sociale qui, armés, manifestent, le gouvernement crée pour les chômeurs des ateliers nationaux.
Les chômeurs y percevront un salaire.
L'État prend ainsi en charge l'assistance sociale, en même temps que des lois fixent la durée quotidienne maximale du travail à dix heures à Paris, à onze heures en province, puis à douze heures sur l'ensemble du territoire national.
Il faut payer ces « ouvriers » qu'on n'emploie guère et qui deviennent une masse de manœuvre réceptive aux idées « socialistes » ou bonapartistes.
C'est en même temps un abcès de fixation. Il suffira de le vider pour que soit brisée l'avant-garde, écho de ce « printemps des peuples » qui fait souffler le vent de la révolution sur l'Europe entière.
La seconde mesure, décisive, est l'instauration, le 5 mars 1848, du suffrage universel (masculin).
Le droit de vote est accordé à tous les Français dès lors
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