L'Amour Et Le Temps
lui faisait battre le cœur, et qu’il traite ici avec une fougue et une précision qui font merveille.
Le roman de la Révolution se déploie ainsi sous nos yeux fascinés dans l’immensité de son tumulte mais aussi dans le mouvement, sans cesse accéléré, de son implacable course à l’abîme. Et nous est pour le coup dévoilée une vérité vivante, supérieure, à mon sens, à la vérité intellectuelle que tente de dégager l’Histoire des historiens. L’auteur respecte certes les exigences de celle-ci, par l’ampleur et la minutie de son savoir comme par la rigueur exemplaire de sa recherche, mais il fait preuve en outre, dans sa démarche créative, d’un don extraordinaire de sympathie qui semble le métamorphoser en témoin – et nous avec lui – de la terrible épopée dont il nous propose, avec quelle intensité, quel éclat, une lecture tout ensemble intime et visionnaire. Oui, décidément, plus je lis et relis cette œuvre unique en notre littérature, et dont on s’explique mal qu’elle ait été à ce point oubliée en vingt-cinq ans à peine, plus s’impose à mes yeux cette évidence, cette certitude : si de tous les ouvrages que notre siècle a consacrés à la Grande Révolution il me fallait n’en garder qu’un, ce serait celui-ci.
GEORGES - EMMANUEL CLANCIER
janvier 1989
NOTE DE L’ÉDITEUR
La Révolution française, aussi étrange que cela paraisse, n’a qu’assez peu inspiré les romanciers français. Quand on aura cité Les Chouans de Balzac ou Quatre-vingt-treize de Hugo, on ne sera pas loin d’avoir fait le tour de ce que le XIX e siècle romanesque nous a laissé d’intéressant sur la question – et notre siècle présent, si fécond en études historiques, n’a guère incité les auteurs de fiction à traiter ce sujet pourtant exemplaire. On a pu longtemps s’étonner que cet épisode de notre histoire, fondateur à tant d’égards, n’ait pas favorisé l’éclosion d’un de ces livres emblématiques en quoi tout un peuple peut déchiffrer l’énigme de ses racines et de son destin. Rien chez nous qui se puisse comparer avec ce que Tolstoï dans La Guerre et la Paix a su tirer de cette autre « crise originelle » que fut, pour la conscience russe, l’invasion napoléonienne ; ou, toutes proportions gardées, avec ce qu’Autant en emporte le vent représente pour l’imaginaire américain – la guerre de Sécession jouant ici le rôle évident de « scène capitale ».
Telle est sans doute la raison qui engagea Robert Margerit à se lancer, vers la fin des années cinquante, dans une entreprise romanesque chez nous sans précédent : conter, dans le sillage de personnages imaginaires, l’histoire entière de la Révolution française, de façon à nous la faire vivre, ou revivre, dans sa vérité la plus immédiate : par les sens non moins que par l’entendement. Et montrer qu’au bout du compte, l’aventure individuelle, si fort que puissent l’exalter les enjeux d’une époque, est proprement dévorée par l’Histoire pour peu que celle-ci se décline sur le mode de la crise ou de la convulsion. À ce projet démesuré (couronné en 1963 par le Grand Prix du roman de l’Académie française), il devait vouer douze années de son existence : douze ans de recherches minutieuses (dans les archives de la ville de Limoges en particulier), de labeur patient consacré à la comparaison et à la critique des sources… d’enthousiasme aussi. Le succès qui accueillit la publication des trois premiers volumes (Gallimard, 1963) fut tel que l’auteur se décida à leur donner une « suite »(laquelle couvre, en gros, la période qui va du 9 Thermidor à Waterloo) : ce qui nous vaut un quatrième « livre » ( Les Hommes perdus, 1968), le plus sombre, le plus nostalgique – et peut-être le plus admirable de la série.
Ce fabuleux ensemble, l’une des sommes romanesques les plus vivantes et captivantes que nous sachions, était introuvable en librairie depuis de longues années. À l’heure où l’anniversaire de 89 se trouve salué par une telle profusion d’ouvrages historiques de tous bords, il importait, nous semble-t-il, défaire découvrir, ou redécouvrir aux lecteurs cette merveille trop méconnue – considérée pourtant par une petite cohorte de lecteurs éblouis comme l’une des entreprises littéraires les plus ambitieuses et les plus originales de ce temps.
j. p. s.
PREMIÈRE PARTIE
I
Ainsi, leur bonheur
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