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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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beurre et quelques tranches de pain. Elle enveloppa le tout et le tendit à Ravic.
    « Tu jetteras ceci, une fois sorti. C’est à cause d’elle. Elle voudra savoir si tu en as mangé ou non. Le dernier orgueil d’une femme vieillie et désillusionnée, tu sais. Fais-le par politesse.
    –  D’accord. »
    Ravic se leva et ouvrit la porte. En bas, il entendit des voix, de la musique, des rires.
    « Quel vacarme ! dit-il. Sont-ce tous des Français ?
    –  Non, pas ceux-là. Il y a surtout des étrangers, aujourd’hui.
    –  Des Américains ?
    –  Non, c’est même ce qui m’étonne. Ce sont surtout des Allemands. On n’en a jamais vu tant que ces jours-ci.
    –  Il n’y a là rien d’étrange.
    –  La plupart parlent parfaitement le français. Pas du tout comme les Allemands le parlaient, il y a quelques années.
    –  C’est-ce que je pensais. Je suppose qu’il y a aussi un bon nombre de poilus ? Des recrues et des troupes coloniales ?
    –  Il y en a toujours.
    –  Et les Allemands dépensent beaucoup d’argent ? »
    Rolande se mit à rire.
    « Ils paient à boire à qui veut boire avec eux.
    –  Surtout aux soldats, j’imagine. Et pourtant, l’Allemagne a mis l’embargo sur la monnaie et elle a fermé sa frontière. Personne ne peut sortir du pays sans la permission des autorités. Et personne ne peut emporter avec lui plus de dix marks. C’est étrange, tous ces Allemands archi-gais, qui ont les poches remplies d’argent et qui parlent si bien le français, tu ne trouves pas ? »
    Rolande haussa les épaules.
    « Ça, je m’en fiche, par exemple… Pourvu que leur argent soit bon… »
    Il était huit heures passées lorsqu’il rentra chez lui.
    « Personne ne m’a appelé ? demanda-t-il au portier.
    –  Non.
    –  Même pas cet après-midi ?
    –  Non. Pas de toute la journée.
    –  Personne n’est venu ici pour moi ?
    –  Personne. »
    Ravic monta. Au premier étage, il entendit le ménage Goldberg qui se querellait. Au second, un enfant hurlait. C’était le petit Lucien Silbermann, citoyen français, âgé de quatorze mois. Il représentait tous les espoirs de ses parents qui avaient pour lui de la vénération. Siegfried Silbermann, marchand de café, et sa femme Nelly, née Lévi, de Francfort-sur-le-Main. L’enfant était né en France, et ses parents espéraient, à cause de lui, ob tenir leur passeport français deux ans plus tôt. En conséquence, Lucien était devenu une sorte de tyran. Au troisième, un phonographe jouait. C’était celui du réfugié Wohlmeir, autrefois hôte du camp de concentration d’Oranienbourg. Il passait des heures à jouer des mélodies populaires allemandes. Le corridor sentait le chou et l’humidité.
    Ravic entra dans sa chambre pour lire. Un jour, il avait acheté plusieurs volumes d’histoire. Ils n’étaient pas particulièrement réjouissants. La seule satisfaction morbide qu’on en pouvait tirer était de se rendre compte que ce qui se passait, aujourd’hui, dans le monde n’avait rien d’extraordinaire. Tout était déjà arrivé des douzaines de fois. Les mensonges, les ruptures de paroles données, les meurtres, les massacres de la Saint-Barthélemy, la corruption qui accompagne la soif du pouvoir ; la chaîne ininterrompue des guerres… L’histoire de l’humanité était inscrite avec du sang et des larmes ; et parmi les milliers de statues sanglantes du passé, quelques-unes, seulement, s’ornaient d’une auréole de bonté. Les démagogues, les faussaires, les parricides, les meurtriers, les égoïstes assoiffés de puissance ; les prophètes fanatiques qui prêchaient l’amour, l’épée à la main, c’était chaque fois la même chose… Et chaque fois, les peuples dociles se laissaient lancer les uns contre les autres dans une hécatombe insensée, pour les kaisers, les rois, les religions et les fous. Il n’y avait pas de fin.
    Il repoussa les livres. Des voix lui parvinrent par une fenêtre ouverte à l’étage au-dessous. Il les reconnut. C’étaient celle du réfugié Wiesenhoff et celle de M me  Goldberg.
    « Pas maintenant, disait Ruth Goldberg. Il va rentrer bientôt. Dans une heure, au plus, il sera là.
    –  Une heure est toujours une heure.
    –  Il se peut qu’il rentre plus tôt.
    –  Où est-il allé ?
    –  À l’ambassade américaine. Il y va chaque soir. Il n’y entre pas ; il se contente de la regarder. Et puis il revient. »
    Wiesenhoff dit

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