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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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l’imagination. La pierre est réelle. La plante l’est aussi. Et de même l’animal. Il est adapté à sa destinée. Il ne sait pas qu’il doit mourir. L’homme le sait, lui. Monte, âme ! Vole ! Ne sanglote pas, meurtrier selon la loi ! Ne venons-nous pas de chanter le cantique des cantiques de l’humanité ? »
    Morosow secoua le palmier gris, soulevant un nuage de poussière.
    « Héroïque symbole d’un espoir méridional, plante qui étais le rêve d’une hôtelière française, adieu ! Et toi aussi, homme sans foyer, plante rampante sans racine, pickpocket de la mort, adieu ! Sois fier d’être un romantique ! »
    Il sourit à Ravic.
    Ravic ne rendit pas le sourire. Il regarda la porte. Elle s’ouvrait. Le concierge de nuit entra. Il s’approcha de leur table. « Le téléphone, pensa Ravic, enfin ! Enfin ! » Il ne se leva pas. Il attendit, sentant se tendre les muscles de ses bras.
    « Vos cigarettes, monsieur Morosow, dit le concierge. Le garçon vient de les apporter.
    –  Merci. »
    Morosow glissa la boîte de cigarettes russes dans sa poche.
    « Au revoir, Ravic. Je te vois plus tard ?
    –  Peut-être. Au revoir, Boris. »
     
    L’homme sans estomac regarda Ravic. Il se sentait malade, mais ne pouvait vomir. Il n’avait plus ce qu’il lui fallait pour vomir. Il était comme un cul-de-jatte qui aurait mal aux pieds.
    Il était très agité. Ravic lui fit une piqûre. L’homme avait peu de chances de survivre. Le cœur n’était pas très fort, et un des poumons était plein de lésions cicatrisées. Au cours de ses trente-cinq ans de vie, il n’avait jamais eu beaucoup de santé. Pendant des années, un ulcère à l’estomac, une tuberculose latente, et maintenant un carcinome. Sa fiche d’hôpital indiquait qu’il était marié depuis quatre ans ; sa femme était morte en couches ; l’enfant était mort de tuberculose au bout de trois ans. Aucun parent. Il était là, étendu, droit devant lui, refusant de mourir, plein de bravoure, ignorant qu’il lui faudrait désormais se nourrir par le côlon, et qu’il ne pourrait plus jamais goûter son mets favori : le pot-au-feu avec des cornichons. Il était étendu là, le ventre ouvert, sentant mauvais. Mais il possédait pourtant quelque chose qui lui permettait de remuer les yeux, et qui s’appelait une âme. Sois fier d’être un romantique ! Le cantique des cantiques de l’humanité !
    Ravic raccrocha la fiche au-dessus du lit. L’infirmière se leva et attendit. Sur la chaise qu’elle venait de quitter, un tricot rouge à demi achevé. Les aiguilles étaient piquées dans la laine, et la pelote avait roulé par terre. Il semblait qu’un mince filet de sang coulait du tricot inachevé.
    « Cet homme est cloué sur son lit, pensa Ravic, et malgré la morphine il va passer une nuit horrible de souffrance, d’immobilité, d’étouffements et de cauchemars… Moi, j’attends une femme, et je crois que la nuit sera terrible si elle ne vient pas. Je sais que c’est ridicule si je fais la comparaison avec cet homme, avec Gastin Perrier dans la chambre voisine, qui a eu le bras fracassé, avec des milliers d’autres, avec tout ce qui arrive dans le monde ce soir… Je sais que c’est ridicule, et pourtant ça ne change rien. Qu’avait dit Morosow ? Pourquoi n’as-tu pas mal au ventre ? Eh bien, oui, pourquoi pas ? »
    « Faites-moi prévenir s’il se produit quelque chose », dit-il à l’infirmière.
    C’était la même qui avait reçu le phonographe de Kate Hegstrœm.
    « Il est tout à fait résigné, dit-elle.
    –  Il est quoi ? s’exclama Ravic.
    –  Très résigné. C’est un bon patient. »
    Ravic regarda autour de lui. Il ne vit rien qu’elle pût s’attendre à recevoir en cadeau. Très résigné !… Quelles expressions les gardes-malades employaient parfois ! Ce pauvre diable lut tait contre la mort avec ses globules et toutes ses cellules nerveuses… Il était à cent lieues d’être résigné.
     
    Il rentra à l’hôtel. Il rencontra Goldberg devant la porte. Un vieil homme à barbe grise qui portait une lourde chaîne de montre en or.
    « Belle soirée, dit Goldberg.
    –  Oui. »
    Ravic pensa à la femme dans la chambre de Wiesenhoff.
    « Vous venez faire un bout de promenade ? demanda-t-il.
    –  J’en arrive. Je suis allé jusqu’à la Concorde. » À la Concorde. C’est là qu’était l’ambassade américaine, blanche sous les étoiles,

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