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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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avant d’avoir à mentir à un visage confiant. La nuit lui parut soudain tiède et enveloppante. Quelques heures de gagnées… Une fois de plus la laideur de la vie était miséricordieusement violée par quelques heures de répit qui fuyaient comme des colombes. Ces heures-là aussi étaient des mensonges… tôt ou tard, il fallait payer… Elles n’étaient qu’un délai, mais qu’est-ce qui n’était pas un délai ? Tout n’était-il pas un ajournement… un ajournement miséricordieux… une tenture brillante qui cachait le passage mystérieux et sombre vers lequel on s’avance inexorablement ?
    Il pénétra dans un bistrot et s’assit à une table de marbre près de la fenêtre. La pièce était bruyante et enfumée.
    « Un Dubonnet, et des maryland », commanda-t-il au garçon.
    Il ouvrit le paquet et alluma une cigarette. À une table voisine, des gens parlaient du gouvernement et du pacte de Munich. Il n’écoutait que distraitement. Chacun se rendait compte que le monde glissait avec indifférence vers une nouvelle guerre. On ne faisait rien pour l’empêcher. Un sursis… un sursis d’un an… voilà le but pour lequel on luttait. Un sursis là aussi… de nouveau… toujours.
    Il but sans plaisir l’apéritif sirupeux. Pourquoi l’avait-il commandé ? Il rappela le garçon et demanda une fine.
    Il regarda à travers la fenêtre, s’efforçant de chasser ses pensées. Puisqu’il n’y avait rien à faire, à quoi bon se tourmenter jusqu’à en perdre la raison ? Il se souvint de la leçon qu’il avait apprise… Une des grandes leçons de la vie…
    C’était en août 1916, près d’Ypres. Sa compagnie était revenue du front la veille. C’était un secteur calme. Rien ne s’était produit. Ils étaient maintenant étendus autour d’un petit feu de bivouac, au soleil, cuisant des pommes de terre trouvées dans un champ. Une seconde plus tard, il ne restait plus rien. Un barrage d’artillerie… un obus avait frappé le P. C. du groupe. Lorsqu’il était revenu à lui, indemne, il avait trouvé deux de ses camarades morts… et, plus loin, son ami Messmann qu’il connaissait depuis l’enfance, et de qui il n’avait jamais été séparé. Il gisait là, le ventre ouvert, les entrailles répandues.
    On l’avait transporté à l’hôpital de campagne, par un raccourci qui passait à travers un champ de blé. Il était étendu sur la civière, ses mains pressées contre ses viscères sanguinolents, les yeux fixes, le regard vide…
    Il avait passé une heure à hurler de douleur. Puis il était mort.
    Ravic se rappela le retour. Il s’était assis dans la caserne, complètement désorienté. C’était la première fois qu’il voyait une chose semblable. Katczinsky, le chef de détachement, cordonnier dans le civil, l’avait trouvé là.
    « Viens, avait-il dit. Ils ont de la bière à la cantine bavaroise ce soir. Et des saucisses. »
    Ravic l’avait regardé sans parvenir à comprendre son insensibilité. Katczinsky avait insisté :
    « Tu vas venir avec moi, même s’il faut que je te casse la gueule. Tu vas manger, boire et aller au bordel. »
    Ravic n’avait pas répondu, et Katczinsky s’était assis à côté de lui.
    « Je sais ce que tu as, avait-il dit, et je sais ce que tu penses de moi. Mais je suis là-dedans depuis deux ans et toi depuis deux semaines. On ne peut plus rien faire pour Messmann. Tu sais bien qu’on aurait tout risqué pour le sauver s’il y avait eu moyen. »
    C’était vrai, il le savait.
    « Il est mort, avait poursuivi Katczinsky. Plus) rien n’a d’importance pour lui. Mais dans deux jours nous allons remonter au front. Et cette fois, ça va barder. Il faut cesser de te terrer ici, et de te ronger à penser à Messmann. Le résultat, c’est que tu n’auras pas toutes tes facultés pour la prochaine attaque. Et il faudra te ramener comme on a ramené Messmann. Tu crois que ça rendra service à quelqu’un ? Tu me comprends ? » Ravic avait répondu : « Oui, mais je ne pourrais pas… – Ta gueule ! Tu pourras aussi bien que les autres ! Tu ne seras pas le premier !… »
    Après cette nuit les choses s’étaient améliorées. Il avait reçu sa première leçon. Il fallait tenter l’impossible aussi longtemps qu’il y avait une chance. Mais lorsqu’il n’y avait plus rien à faire, il fallait oublier ! Il fallait se ressaisir. La compassion était bonne pour les moments de calme… non lorsqu’une vie

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