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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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Salute !
    –  Salute  ! » répondit Jeanne.
    Le garçon attendait debout.
    « Tout ce qu’on oublie, on le manque plus tard dans la vie, monsieur. »
    Évidemment, pour lui, la discussion n’était pas terminée.
    « Vous avez raison. Mais toutes les choses dont on se souvient nous rendent la vie insupportable. Est-ce le même calvados ? demanda-t-il à Jeanne.
    –  Il est meilleur. »
    Il la regarda. Il sentit une bouffée de chaleur lui monter à la tête. Il savait ce que cela signifiait, et il se sentait désarmé. Elle semblait inconsciente de l’effet de ses paroles. Elle était assise dans ce lieu dénudé, comme si elle y eût été seule. La lumière crue des lampes était impitoyable. Sous leur éclat, deux filles à une table voisine avaient l’air d’être leurs propres grand-mères. Mais sur Jeanne la lumière restait sans effet. Tout ce qu’il avait vu tout à l’heure sous la clarté tamisée de la boîte de nuit, persistait. Le visage brillant et serein ne semblait rien demander, il se contentait d’exister, d’attendre. C’est un visage vide, un visage qu’un souffle peut changer, songea-t-il. On pourrait y accrocher n’importe quel rêve. Il est comme une magnifique demeure vide attendant des tapis et des tableaux. Tout est possible. Selon celui qui l’habitera, il peut se transformer en un pa lais ou en un bouge. Combien est limité par contre, tout ce qui est achevé et classifié. Il s’aperçut qu’elle avait vidé son verre.
    « Je vous félicite. C’était un double calvados. En voulez-vous un autre ?
    –  Oui, si vous en avez le temps. »
    Bien sûr, il avait le temps. Il lui vint la pensée qu’elle l’avait vu avec Kate Hegstrœm l’autre soir. Il l’observa. Le visage ne révélait rien.
    « J’ai le temps, dit-il. Je dois opérer demain matin à neuf heures. C’est tout.
    –  Comment pouvez-vous opérer lorsque vous vous couchez si tard ?
    –  Ça n’a rien à voir. J’ai l’habitude. Et puis, je n’opère pas tous les jours. »
    Le garçon emplit les verres. Il posa la bouteille sur la table, et un paquet de gauloises vertes.
    « C’est-ce que vous aviez demandé la dernière fois, dit-il triomphalement à Ravic.
    –  C’est possible. Vous le savez mieux que moi. Je vous crois sur parole.
    –  Il a raison, dit Jeanne. C’étaient des gauloises vertes.
    –  Vous voyez ! La dame a une meilleure mémoire que vous, monsieur.
    –  C’est à voir ! Merci pour les cigarettes. Il ouvrit le paquet et le lui tendit. « Êtes-vous toujours au même hôtel ?
    –  Oui, mais j’ai pris une chambre plus grande. »
    Quelques chauffeurs entrèrent dans le bistrot. Ils s’attablèrent et commencèrent une bruyante discussion.
    « Voulez-vous que nous partions ? » demanda Ravic.
    Elle fit signe que oui. Il appela le garçon et paya.
    « Vous ne devez vraiment pas retourner au Schéhérazade ?
    –  Non. »
    Il lui tendit son manteau. Elle ne le mit pas, mais le jeta seulement sur ses épaules. C’était du vison sans grande valeur, probablement de l’imitation, mais sur elle, il devenait élégant.
    « Il suffit de porter les choses avec assurance », pensa Ravic. Il se souvenait d’avoir vu des zibelines qui, sur certaines femmes, semblaient de la camelote.
    « Je vous ramène à l’hôtel », dit-il une fois dehors.
    Il tombait une pluie fine. Elle se tourna vers lui.
    « Nous n’allons pas chez-vous ? »
    La lumière de l’entrée éclairait en plein son visage. Ses cheveux étaient diamantés de fines gouttelettes. « Si », dit-il.
    Un taxi s’arrêta. Le chauffeur attendit. Puis il repartit dans un bruit d’engrenages.
    « Je vous attendais, dit-elle. Le saviez-vous ?
    –  Non. »
    Les yeux de Jeanne brillaient. Ils paraissaient sans fond.
    « Je vous vois aujourd’hui pour la première fois, ajouta-t-il. Vous n’êtes pas la même.
    –  Non.
    –  Et tout ce qui est arrivé avant n’existe plus.
    –  Non. Je l’ai oublié. »
    Il sentit son souffle léger qui venait vers lui, invisible et tendre, léger et plein de confiance. Une vie étrange dans une étrange nuit. Son sang circula plus vif, il bouillonnait, mais c’était plus que du désir. C’était la vie mille fois maudite et bienvenue, souvent perdue et retrouvée. La vie qui, une heure auparavant, était un paysage aride, désert et désolé, qui jaillissait maintenant comme de mille fontaines résonnantes, ramenant la minute

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