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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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cette chose nébuleuse et invisible qui lui rongeait les tissus.
    « Il faut encore… »
    L’enfant. Un souffle de vie aveugle qui se développait dans ce corps en décomposition. Condamné avec lui. Un fœtus, un instinct de croissance qui devait se développer, grandir, vouloir, jouer dans des jardins, devenir plus tard un homme, un ingénieur, un prêtre, un soldat, ou un meurtrier. Un être humain qui souffrirait, qui serait heureux… qui finirait par disparaître. L’instrument glissa doucement le long de la paroi invisible, découvrit la résistance, la brisa avec précaution, l’enleva. Fini. Finies les luttes inconscientes. Fini le souffle encore en puissance, le bonheur, les plaintes, la croissance. Plus rien qu’un peu de chair morte et livide, et quelques gouttes de sang.
    « Avez-vous le rapport de Boisson ?
    –  Il sera là d’une minute à l’autre.
    –  Nous pouvons attendre un peu. Le pouls ? »
    Il regarda les yeux de Kate. Ils étaient ouverts, et elle le fixait, non pas d’un regard vitreux, mais comme si elle le voyait et avait conscience de tout. Il fit un pas et s’arrêta. Impossible. Une seconde, il l’avait crue consciente. C’était la lumière. Sous la narcose, les pupilles avaient réagi.
    « Comment est le pouls ?
    –  À cent, et la pression à cent douze. Elle s’affaiblit !
    –  Il ne reste plus grand temps, dit Ravic. Boisson devrait téléphoner. »
    La sonnette retentit. Ravic se tint immobile, tandis que Veber allait à la porte. L’infirmière entra et murmura quelque chose. Veber dit :
    « C’est bien ça, carcinome. »
    Ravic se remit au travail. Il enleva les forceps et les crampons. Il retira le rétracteur et les pansements. À ses côtés, Eugénie comptait machinalement les instruments. Il commença à recoudre. Il le fit avec une adresse infinie, sans penser, le cerveau vide. Le tombeau se refermait, une à une les couches de chair se rejoignaient. Il pesa les agrafes et se redressa.
    « C’est fini. »
    Eugénie appuya sur un levier qui remit la table d’opération à la position horizontale, et ramena les couvertures sur la patiente. Des pensées confuses se pressaient dans le cerveau de Ravic : Schéhérazade, l’avant-veille, la robe de Mainbocher, les tziganes… Avez-vous jamais été heureux ?… Cette fois-ci j’ai peur… Ce ne sera rien du tout.
    Il regarda l’horloge qui surmontait la porte : midi. Dehors, les portes des usines et des bureaux s’ouvraient pour livrer passage au flot des êtres en parfaite santé. L’heure du déjeuner. Les deux infirmières emportèrent l’opérée. Ravic arracha ses gants de caoutchouc, passa dans la pièce voisine, et se mit à se laver.
    « Attention à votre cigarette, dit Veber. Vous allez vous brûler les lèvres.
    –  Merci. Qui va le lui dire, Veber ?
    –  Vous, répondit Veber sans hésiter.
    –  Il va falloir expliquer pourquoi nous avons dû opérer. Elle s’attendait à ce que ce soit fait par les voies naturelles. On ne peut pas lui dire la vérité.
    –  Vous trouverez bien quelque chose, dit Veber avec confiance.
    –  Croyez-vous ?
    –  Bien sûr. Vous avez jusqu’à ce soir.
    –  Pourquoi pas vous ?
    –  Elle ne me croirait pas. Elle sait que c’est vous qui opériez, elle voudra que les explications viennent de vous. Si je m’en mêle je ne ferai qu’éveiller sa méfiance.
    –  Peut-être…
    –  Je n’arrive pas à comprendre, fit Veber, comment le mal a pu se développer si rapidement.
    –  Cela arrive. Je voudrais bien savoir quoi lui dire.
    –  Vous trouverez une explication, dit Veber. Une sorte de kyste ou de fibrome.
    –  C’est-cela, dit Ravic. Une sorte de kyste ou de fibrome. »
    Le soir, il revint à la clinique. Kate Hegstrœm dormait. Elle s’était éveillée vers la fin de l’après-midi. Elle avait vomi et après avoir passé une heure assez agitée, s’était rendormie.
    « A-t-elle demandé quelque chose ?
    –  Non. Elle n’était qu’à moitié éveillée. Elle n’a rien demandé.
    –  Elle dormira probablement jusqu’au matin. Au cas où elle s’éveillerait et poserait des questions, dites-lui que tout s’est bien passé. Il faut qu’elle dorme. Au besoin, donnez-lui quelque chose. Si elle s’agite trop, appelez Veber ou moi. À mon hôtel, on saura où me trouver. »
    Une fois dans la rue, il se sentit comme un condamné auquel on vient d’accorder un sursis. Quelques heures de grâce

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