L'arc de triomphe
-Veuillez tout de même attendre un moment, monsieur.
– Je suis pressé. Je dois me rendre d’urgence auprès d’un malade.
– Vous êtes le médecin ?
– J’ai lié l’artère, voilà tout. Il ne reste plus qu’à attendre l’ambulance.
– Je dois inscrire votre nom, docteur. Vous étiez témoin.
– Je n’ai pas vu l’accident. Je suis arrivé après.
– Je dois quand même inscrire toutes les circonstances. C’est un accident grave, docteur.
– Je le vois bien », dit Ravic.
L’agent chercha à découvrir le nom de la femme. Elle était incapable de répondre à ses questions. Elle le fixait sans le voir. Il se pencha sur elle avec sollicitude. Ravic jeta un coup d’œil autour de lui. La foule lui barrait partout le passage.
« Écoutez, dit-il au policier, je suis très pressé…
– Docteur, il est nécessaire que je fasse toutes les constatations. Il est important que j’aie votre nom. La femme peut mourir, vous savez.
– Elle ne mourra pas.
– On ne sait jamais. Et puis il y a la question des dommages.
– Avez-vous fait venir l’ambulance ?
– Mon collègue s’en est chargé. Si vous me faites des difficultés, vous allez tout simplement causer une perte de temps.
– La femme est à moitié morte et le médecin veut s’en aller, dit une voix d’un ton de reproche.
– Elle serait morte maintenant, si je ne m’étais pas porté à son secours, répondit-il à l’interlocuteur anonyme.
– Dans ce cas, répondit la voix avec une logique irréfutable, il faut que vous restiez. »
Ravic entendit le déclic d’un appareil photographique. Un homme souriant lui demanda :
« Docteur, auriez-vous l’amabilité de vous pencher sur elle, comme vous l’avez fait tout à l’heure ?
– Non.
– C’est pour les journaux, lui dit l’homme.
– Allez au diable ! dit Ravic. Il est nécessaire que cette femme soit transportée immédiatement. Le pansement que j’ai fait est tout à fait temporaire.
– Une chose après l’autre, docteur, dit l’agent de police. Je dois d’abord faire mon rapport. Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il à la femme. Il faut que nous le sachions. »
Elle remua les lèvres mais aucun son n’en sortit. Ses paupières battaient comme les ailes d’un papillon épuisé de fatigue, pensa Ravic. Et il se dit : « Triple idiot que je suis ! Il faut que je trouve le moyen de m’esquiver. »
« Marcel… dit la femme dans un souffle.
– Hein ? Quoi ? » Le policier se pencha rapidement vers elle. « Qu’avez-vous dit, madame ? »
Il n’obtint aucune réponse.
Le hurlement déchirant d’une sirène engloutit tous les bruits.
C’était l’ambulance. « Voilà le moment », pensa Ravic. Il fit un pas avec précaution. Mais le policier le retint.
« Il faut venir au poste avec nous, docteur. Je le regrette, mais c’est indispensable. »
Il se trouvait maintenant entre les deux agents. Il n’y avait rien à faire. « Espérons que tout ira bien », se dit-il, et il les suivit.
Au poste, le commissaire en charge avait écouté patiemment le récit du gendarme. Il se tourna maintenant vers Ravic.
« Vous n’êtes pas Français », dit-il.
Ce n’était pas une question, mais une affirmation.
« Non, dit Ravic.
– Qu’êtes-vous ?
– Je suis tchèque.
– Comment se fait-il que vous pratiquiez la médecine ici ? Les étrangers ne peuvent pratiquer, à moins d’être naturalisés.
– Je suis ici en touriste, dit Ravic en souriant.
– Où est votre passeport ?
– Est-ce bien nécessaire, Fernand ? demanda quelqu’un. Ce monsieur est venu en aide à la femme et nous avons son adresse. Ça devrait suffire. Il y a d’autres témoins.
– Je sais, mais ça m’intéresse. Alors, vous avez votre passeport ?
– Sûrement pas, dit Ravic. Vous savez bien qu’on ne garde pas cela sur soi.
– Où est-il ?
– Au consulat. Je l’ai laissé il y a une semaine pour obtenir une prolongation de séjour. »
Il savait que, s’il avait dit que le passeport était à son hôtel, il était probable qu’on l’eût envoyé chercher par un agent. De plus, il avait donné une fausse adresse. Avec le consulat, il y avait une chance.
« À quel consulat ? demanda le commissaire.
– Au consulat tchèque.
– Nous pouvons téléphoner et vérifier ? »
Il regarda Ravic.
« Naturellement. »
Fernand attendit une
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