L'arc de triomphe
seconde, puis il dit :
« C’est bien, nous allons demander. »
Il se leva et passa dans la pièce voisine. Celui qui avait fait des objections paraissait très confus.
« Excusez-nous, docteur, dit-il, en s’approchant de Ravic. Je sais que toutes ces formalités sont superflues. Ça ne prendra qu’une seconde. En attendant, permettez-moi de vous remercier de votre aide. »
Ravic prit une cigarette avec le plus grand calme. Un gendarme était devant la porte. Il y avait peut-être une chance. Personne ne le soupçonnait pour l’instant. Il pourrait le bousculer et passer.
À ce moment, Fernand revint.
« Il n’y a pas de passeport à votre nom au consulat, dit-il.
– On s’est trompé, dit Ravic.
– Impossible !
– La personne qui vous a parlé n’est pas nécessairement au courant de tout.
– Celle-là l’était. »
Ravic demeura silencieux.
« Vous n’êtes pas tchèque, reprit Fernand.
Avez-vous un passeport, oui ou non ? Répondez.
« L’instinct du rat, songea Ravic, le plus indestructible de tous les instincts. Qu’est-ce que ça peut bien faire à cet imbécile, que j’aie ou non un passeport ? Mais le rat a flairé quelque chose, et il sort de son trou. »
« Répondez ! » aboya Fernand.
« Un morceau de papier ! L’avoir ou ne pas l’avoir. Cet individu se confondrait en excuses plates si je l’avais. Il me saluerait très bas. Mais aujourd’hui, sans passeport, même le Christ finirait en prison, ou alors il serait tué bien avant d’avoir atteint ses trente-trois ans. »
« Vous allez rester ici jusqu’à ce que tout cela soit tiré au clair. »
Ravic se contenta de hausser les épaules. Fernand sortit de la pièce en claquant la porte.
« Monsieur, lui dit celui qui avait pris sa défense, je suis désolé. C’est une question sur laquelle il ne plaisante pas.
– Ne vous en faites pas.
– Me serait-il permis d’utiliser le téléphone avant le retour de ce Fernand ?
– Certainement. Là, sur la table. Faites vite. »
Ravic téléphona à Morosow. Il lui expliqua en allemand ce qui s’était passé. Il lui demanda d’avertir Veber.
« Et Jeanne aussi ? demanda Boris.
– Non. Non, pas encore. Dis-lui que je suis retenu, mais que tout va s’arranger d’ici deux ou trois jours. Occupe-toi d’elle.
– Bien, répondit Boris sans enthousiasme. Au revoir, Wozzeck. »
Ravic reposait l’appareil quand Fernand revint.
« Vous parliez tchèque ? dit-il narquoisement.
– Non, espéranto. »
Veber vint le lendemain matin.
« Un sale trou, dit-il.
– Les prisons françaises sont toujours de vraies prisons, répondit Ravic. L’humanité n’y tient que très peu de place. C’est l’hygiène du XVII e siècle.
– Dégoûtant, dit Veber. Dégoûtant que vous ayez été pris comme cela.
– On ne devrait jamais faire de bonnes actions. Il faut toujours payer pour celles que l’on fait. J’aurais dû laisser cette femme saigner à mort. Nous vivons dans un âge de fer, Veber.
– Oui, de fer forgé. On a découvert que vous êtes ici illégalement ?
– Évidemment.
– Votre adresse aussi ?
– Non. Je ne chercherais jamais à compromettre l’International. La patronne serait punie, pour donner asile à des hors-la-loi. Il s’ensuivrait une descente, et dix ou douze réfugiés seraient arrêtés. Non, cette fois, j’ai donné l’hôtel Lancaster. Un hôtel cher et de bon ton. J’y suis descendu il y a bien longtemps.
– Et votre nouveau nom est Wozzeck ?
– Vladimir Wozzeck, dit Ravic en souriant. C’est mon quatrième.
– Que puis-je faire, Ravic ?
– Pas grand-chose. Il importe avant tout qu’on ne découvre pas que j’étais déjà venu en France. Sinon, c’est six mois de prison.
– Diable ! dit Veber en soupirant.
– Oui, le monde s’humanise de plus en plus chaque jour. Nietzsche disait qu’il faut vivre dangereusement. Les réfugiés le font malgré eux.
– Et si on ne découvre rien ?
– Après, c’est deux semaines de prison, et l’expulsion.
– Et après ?
– Après ? Je reviendrai.
– Jusqu’à ce que vous soyez pris de nouveau ?
– Eh oui ! Le délai a été long cette fois. Deux ans. C’est toute une vie !
– Il faut faire quelque chose. Ça ne peut pas continuer ainsi.
– Que pourriez-vous faire, Veber ? »
Veber demeura songeur un moment.
« Durant ! dit-il tout à coup.
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