L'Art Médiéval
les
Renaissances d’Occident, il semble qu’un même travail s’effectue en
Asie, l’Inde même comprise, ainsi que chez les Africains, où les
formes deviennent plus dégagées, plus maigres, vues par le détail
anecdotique et pittoresque plutôt que par l’ensemble plastique et
généralisateur. Chose plus singulière encore, sensible en Chine,
mais particulièrement évidente au Japon, un parallélisme
chronologique étroit s’établit, à partir de ce moment-là, entre les
formes asiatiques et les formes européennes. Au Japon, vers le
XV e siècle, avec Sesshiu, Soami, Sesson, une Renaissance
s’annonce, presque tout à fait dégagée des grandes formes
synthétiques du moyen âge mongol. L’élan qu’elle imprime à toutes
les écoles aboutit, au XVII e siècle, à un classicisme
très analogue à celui de France par l’épanouissement de
l’architecture et des jardins et la fixation du grand style
décoratif autour de l’œuvre de Korin. Le XVIII e siècle,
avec Harounobou, Outamaro, la gravure en couleurs, voit fleurir, en
même temps que l’industrie des menus objets mobiliers et la
généralisation de l’amateurisme et du goût, un art voluptueux et
mondain d’une grâce exquise. Le XIX e , enfin, assiste au
triomphe de l’art naturaliste et du paysage dont Hokusaï et
Hieroshigé sont les principaux représentants. Je ne crois pas du
tout à des influences réciproques, les échanges suivis n’ayant
commencé qu’au milieu du siècle dernier pour l’Europe, et vers sa
fin pour la Chine et le Japon. Il y a là plutôt des évolutions
parallèles, communes probablement à toutes les sociétés, dans tous
les temps, et qui ne sont que des étapes nécessaires de l’esprit
dans sa marche vers sa propre synthèse ou sa propre dissociation.
N’est-il pas étrange par exemple, au premier abord, mais à la
réflexion naturel, qu’au sein du même mouvement de peinture
d’intérieur, familière, décorative et mondaine, Kiyonobou au Japon
et Leblond en Europe inventent la gravure en couleur à quelques
années de distance ?
D’autre part
–
et surtout
–
le symbolisme universel qui caractérise à première vue l’art
asiatique
[2] ,
semble quitter les rythmes
instinctifs des artistes orientaux en même temps que
l’individualisme et le naturalisme apparaissent. Flux et reflux
incessant des grandes vagues spirituelles qui bercent l’humanité,
puisque la symbolique chrétienne, au moyen âge occidental, dressait
l’église byzantine et la cathédrale française sur des contrées où
le naturalisme avait jusqu’ici prévalu et devait prévaloir encore
quand leurs assises ne reposeraient plus dans l’unanimité des
cœurs. Ce vaste balancement d’un foyer d’intelligence et de
sentiment à l’autre ne s’est au fond jamais arrêté, et ce n’est
qu’au sommet de ses ondes qu’on peut saisir des formes assez
tranchées pour définir l’esprit européen et l’esprit asiatique
selon leurs caractères les plus constants et les plus décisifs.
L’apollinisme grec, déjà, n’était-il pas sorti de la marée
dionysiaque venue du fond de l’Asie, et cet apollinisme, lors de
l’expédition macédonienne, n’avait-il pas contribué plus que tout à
recréer, aux frontières des Indes, un nouveau rythme dionysiaque
que le bouddhisme allait répandre, comme une inondation
irrésistible, sur la Chine, l’Indochine, l’Insulinde et le
Japon ?
La révélation progressive de ces rythmes
alternatifs, et d’autre part une connaissance plus approfondie et
une assimilation prodigieusement rapide des formes les plus
étranges de l’art d’Orient, d’Afrique et d’Amérique, ont rendu ces
formes bien plus proches de nous que nous ne le croyions possible
quand elles nous sont apparues. Depuis quelques années, il n’y a
plus d’art exotique. Tout homme de haute culture, dans toutes les
parties du monde, retrouve facilement un même fond intangible
d’humanité dans toutes les images qui nous entretiennent des
groupes ethniques dispersés dans toute la durée des siècles et sur
toute la surface de la terre. Récrirais-je aujourd’hui la page qui
ouvre mon chapitre sur la Chine ? Je crois que oui, en y
réfléchissant, car elle comporte, il me semble, une part de vérité.
Mais voyez cependant les figurines de terre cuite qu’on trouve en
ce moment dans les tombeaux des grandes vallées jaunes et qui sont
si proches de matière, de structure, de sentiment, d’esprit, de
celles
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