L'Art Médiéval
de
l’Indus, une grande révolution sociale bouleversait la péninsule.
Le Bouddha Çakia-mouni, un siècle auparavant, avait senti l’ivresse
panthéiste inonder sa vie intérieure et l’amour l’envahir avec la
puissance des fleuves. Il aimait les hommes, il aimait les bêtes,
il aimait les arbres, il aimait les pierres, tout ce qui respirait,
tout ce qui palpitait, tout ce qui remuait, tout ce qui avait
seulement une forme sensible, des constellations du ciel à l’herbe
où se posaient ses pieds. Puisque le monde est un seul corps, il
faut bien qu’une tendresse irrésistible pousse les uns vers les
autres tous les éléments dispersés, toutes les formes différentes
qui errent au travers de lui. La faim, le meurtre, la souffrance,
tout est amour. Çakia-mouni livrait tendrement sa chair nue à
l’aigle qui poursuivait une colombe.
Quels que soient le fatalisme et le
sensualisme d’un peuple, il entend toujours, au moins une fois au
cours de son histoire, celui qui vient verser sur ses blessures le
baume d’amour. On ne pouvait vaincre le tigre, sans doute, la cime
de l’Himalaya ne pouvait être atteinte, et les fleuves sacrés qui
descendaient de lui ne pouvaient pas cesser de rouler dans leurs
eaux la fièvre et la vie. Pourtant, l’appareil social brahmanique,
l’implacable régime des castes qui reflétait du haut en bas la
rigueur implacable des énergies universelles fut broyé par la
révolte de l’amour. Un demi-siècle après l’incursion d’Alexandre,
l’empereur Açoka était forcé de suivre l’entraînement général et
d’élever quatre-vingt-quatre mille temples en commémoration d’un
homme qui n’avait jamais parlé des dieux.
Que dura le bouddhisme aux Indes ? Sept
ou huit siècles peut-être, une heure dans la vie de ces multitudes
dont l’évolution historique dans le passé et l’avenir paraît aussi
infinie et confuse que leur pullulation dans l’étendue. L’Inde,
insensiblement, revint aux dieux védiques, le brahmane, appuyé sur
le prince, reconstruisit la pyramide sociale et balaya de la terre
des hommes l’espoir du paradis. Le bouddhisme se réfugia dans l’âme
de quelques cénobites, et, par delà les frontières de l’Inde, alla
conquérir l’Asie. Ainsi le christianisme, né de l’idéal sémitique,
devait vaincre tout l’Occident, sauf les Hébreux. Une révolution ne
conquiert pas l’instinct fondamental du milieu qui l’a
provoquée.
C’est du fond même de la nature indienne que
le mysticisme matérialiste était remonté lentement pour étouffer
tous les désirs d’humanité suscités par le bouddhisme. Les temples
dont les foules néophytes avaient semé le sol de l’Inde les
ramenaient, pierre par pierre, à subir de nouveau la ritualisation
des croyances primitives qui ne cessaient pas de constituer la
source de leurs émotions. Le monument bouddhique proprement dit a
presque disparu de l’Inde. Les
Topes,
les grands
reliquaires de brique sont peut-être les seuls édifices qui ne
soient pas consacrés à un dieu ayant figure matérielle. Encore
l’histoire du Bouddha, toute sa vie se déroulant parmi les animaux
et les forêts est-elle sculptée sur la porte. Les
Chaïtyas,
les basiliques qu’on bâtissait autour du premier
siècle, ont déjà des chapiteaux faits de figures animales. Quand
Çakia-mouni lui-même paraît dans le sanctuaire, c’est que son
enseignement est oublié et que l’instinctif sensualisme a vaincu
les besoins moraux.
Qu’importait aux foules de l’Inde ? Il
leur fallait des formes à aimer. Les brahmanes n’eurent aucune
peine à vaincre. Eurent-ils même conscience de leur victoire et la
multitude misérable sentit-elle la défaite peser sur son
espoir ? Y eut-il victoire, y eut-il défaite ? La défaite
n’est-elle pas l’abdication de la nature véritable que nous ont
constituée notre milieu géographique et l’immense atavisme secret
qui nous attache au fond même de notre histoire ? La victoire
n’est-elle pas le triomphe au dedans de nous de cette nature
impérissable par qui peut seulement se manifester la conception de
la vie qui nous est propre ? Un seul temple bouddhique fut-il
détruit ? Un seul fidèle persécuté ? Peut-être non. Aux
Indes, l’esprit religieux domine le dogme. Une marée monte après
une marée et dépose sur le rivage des algues, des coquillages, des
cadavres nouveaux, de nouvelles vies palpitantes. Tout se mêle et
se confond, le brahmane officie dans
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