L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
musardaient dans Rio
Grande Avenue aux environs de l’Omaha Club, fumaient une cigarette, crachaient
du jus de chique et foudroyaient des yeux Bob et la jeune femme.
« Alors, je vais peut-être y aller »,
bredouilla-t-elle.
Bob lui suggéra d’essayer de dégotter un autre
emploi à Jimtown. Pourtant, bien qu’elle lui eût affirmé qu’elle allait tenter
sa chance auprès de quelques magasins dès le lendemain matin, bien qu’elle
parût même reconnaissante à Bob, Miss Nellie Russell de St Joseph, Missouri,
acheta plutôt du whisky ainsi que quelques grains de morphine et se suicida
dans la nuit.
Il était minuit
lorsque le shérif adjoint Ed Kelly se redressa dans son lit de camp et tendit l’oreille
au hennissement ténu d’un cheval. Il tâtonna, en quête de son revolver, puis
traversa à toutes jambes le sol en terre de sa cabane et atteignit la porte en
planches non dégrossies comme on frappait. Il entrebâilla l’huis, pistolet armé
en main, et avança la tête au-dehors, où il se retrouva nez à nez avec un homme
qu’il ne reconnut pas et qui arborait un collier de barbe et une moustache
brune, ainsi qu’une pelisse de castor orange. Le visiteur sourit à la vue de
Kelly en sous-vêtements longs et remarqua d’une voix haut perchée avec un
accent du Sud :
« Vous devriez avoir un petit tête-à-tête
avec du savon de temps à autre…
— Je vous connais ?
— On n’a pas les yeux en face des trous ?
— Vous m’avez réveillé. »
L’homme s’accota contre la façade de rondins
et fixa la vallée en contrebas de Bachelor, où seul un brouillard lumineux
trahissait la position de Jimtown.
« Vous entendez cette musique ? »
Kelly fit un pas à l’extérieur, le revolver
sur la hanche. Il discerna un piano. Son visiteur alluma un cigare.
« C’est l’ouverture en grande pompe de l’Omaha
Club, le nouveau saloon de Bob Ford. »
Kelly cracha sur sa droite.
« Un de ces quatre, moi aussi, je te lui
ferai une ouverture en grande pompe. »
L’homme tourna la tête.
« C’est précisément à ce sujet que je
suis là. Il est en plein dans une de ses muffées périodiques, il ne se sent
plus et il prétend qu’il va abattre Ed Kelly à vue.
— Quoi ! Cet enfant de putain !
— Et venant de Bob, je serais tenté de
prendre ça pour argent comptant.
— Je suis sûr qu’il insistera pour que je
lui tourne le dos avant. »
Son interlocuteur tira sur son cigare, puis l’étudia
en soufflant la fumée.
« Vous devriez faire quelque chose. »
Kelly en convint.
« Je vais foncer là-bas illico et lui
filer une leçon.
— À votre place, j’attendrais demain
après-midi », recommanda l’homme.
Puis il cala son cigare dans sa bouche et
disparut.
Le 8 juin 1892 au
matin, le cadavre de Miss Nellie Russell fut découvert par des cheminots et, à
l’initiative de Dorothy Evans, une souscription fut ouverte afin de financer
les obsèques. Les prostituées de l’Omaha Club prirent sur elles de récolter les
dons et Dorothy monta à l’étage afin de réveiller Bob.
« Tu te souviens de cette fille avec qui
tu as discuté à propos d’un boulot ? annonça-t-elle. Elle s’est suicidée.
— Oh, bon Dieu », soupira Bob.
Il regarda dans le vide pendant plusieurs
minutes. Faute de paroles susceptibles d’atténuer sa consternation, Dorothy lui
lut à voix haute un bulletin de commande adressé par une distillerie tandis qu’il
enfilait son costume. Il ajusta autour de son cou un col rigide en celluloïd, qu’il
assujettit à l’aide d’un bouton en or que Soapy Smith devait plus tard s’approprier
comme porte-bonheur ; il noua ensuite par-dessus une cravate jaune, qu’il
agrémenta d’une épingle surmontée d’une tête en opale d’un blanc laiteux.
« Qu’est-ce que tu en penses ? s’enquit-il
auprès de Dorothy.
— Très distingué », l’assura-t-elle
sans lever les yeux.
Bob mangea une portion du doughnut au
sucre de sa compagne et examina sa moustache dans un miroir, puis s’affaissa
contre une porte de placard en songeant à Miss Russell. Le soleil filtrait
entre les stores verts, qui se balançaient dans la pièce au gré d’une légère
brise et tapaient doucement contre l’appui de la fenêtre. Bob déclara qu’il
allait récupérer le courrier ; Dorothy, qu’elle allait rester dans la
chambre avec sa couture et ses magazines.
« Tu as eu raison de ne pas lui donner de
travail »,
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