Le Bal Des Maudits - T 2
autour de lui, que les bruits normaux de la vie forestière.
Il essaya de se concentrer sur le Fritz. De quoi le Fritz aurait-il l’air ?
Peut-être, après avoir tiré, le Fritz était-il reparti vers la frontière autrichienne ? Deux balles, un Américain. Suffisant pour une journée de travail, à la fin d’une guerre perdue ! Hitler ne pouvait en demander davantage. Ou peut-être n’était-ce pas un soldat ? Peut-être n’était-ce qu’un de ces gosses de dix ans, au crâne bourré des absurdités du Werewolf, avec un fusil de la dernière guerre découvert au fond du grenier familial. Peut-être Michael ne trouverait-il devant lui qu’une tignasse blonde, une paire de pieds nus, une expression de nourrisson effrayé, un fusil trop grand de plusieurs pointures… Que faire alors ? L’abattre ? Le fesser ?
Michael souhaita se trouver en face d’un soldat-Tout en écartant lentement le feuillage épais de la forêt, dans la lumière verte et brune, Michael se surprit à murmurer entre ses dents une étrange prière… Que ce ne soit pas un enfant, mais un soldat… Un soldat adulte, un soldat en uniforme, armé et prêt à le tuer… Un soldat qui, en ce moment, le cherchait lui-même…
Il transféra son fusil dans son autre main, ouvrit et referma plusieurs fois sa main droite. La sensibilité revenait lentement, en vagues fourmillantes, et douloureuses, et il craignit que ses doigts ne répondent pas assez vite, le moment venu… Au cours de tout son entraînement, personne ne lui avait jamais expliqué comment se sortir d’une situation semblable. C’était toujours du travail en escouades, en pelotons, la théorie de l’attaque, comment utiliser les moyens naturels de couverture, comment éviter de s’exposer contre la ligne d’horizon, comment se glisser entre les barbelés… Avançant toujours, sans cesse alerté par les petits mouvements des buissons et des jeunes pousses, il se demanda s’il allait s’en tirer. L’Américain inadapté, entraîné à tout, sauf à cela : entraîné au salut, entraîné à l’exercice théorique militaire, à l’avance en colonnes, entraîné aux méthodes les plus modernes du contrôle prophylactique des maladies vénériennes. Et dévalant au petit bonheur, du sommet de sa carrière militaire, vers un problème que l’armée n’avait pas prévu… Comment découvrir et tuer un Allemand qui vient juste de descendre votre meilleur ami ? Ou peut-être y avait-il plus d’un Allemand ?.. Deux coups de feu. Peut-être étaient-ils deux, six, une douzaine, qui l’attendaient en souriant, dans une ligne classique de trous individuelles, écoutant peu à peu se rapprocher ses pas ?
Il s’arrêta. Il fut tenté de retourner en arrière. Puis il secoua la tête. Il ne raisonna pas. Rien de cohérent ne traversa son esprit. Il remit simplement son fusil dans sa main droite ankylosée et reprit son avance hésitante…
Il tomba en arrêt devant une sorte de petit ravin. Il y avait une grosse bûche en travers du ravin, et elle paraissait assez forte. Elle était moisie, de place en place, et le bois était mou, mais il paraissait encore suffisamment épais. Et le ravin avait bien deux mètres de large, et un mètre cinquante de profondeur, avec des pierres moussues à demi enterrées sous des branches pourries… Avant de se risquer sur la bûche, Michael écouta. Le vent s’était apaisé, la forêt était immobile. Il avait l’impression qu’aucun être humain n’était venu dans ces bois depuis des années. Les êtres humains.. Non, ce serait pour plus tard…
Il s’engagea sur la bûche. Il était arrivé à mi-chemin lorsqu’elle craqua, glissa, tourna sur elle-même. Michael agita violemment les bras, s’efforçant de ne pas crier et tomba dans le ravin. Il grogna lorsqu’une arête rocheuse lui déchira les mains et que sa joue entra en contact avec une grosse pierre. La bûche, en pliant, avait émis un craquement sinistre, et, lorsqu’il avait touché le fond, les branches s’étaient écrasées sous lui dans une sorte de crépitement et son casque avait rebondi sur les pierres du ravin avec un tintement métallique. « Le fusil, pensa-t-il automatiquement, qu’est-il arrivé au fusil ?… » Il le cherchait, à quatre pattes, lorsqu’il entendit, au-dessus de lui, le bruit d’une course à pied , les pas se dirigeaient vers lui…
Il bondit sur ses pieds. À quinze mètres de lui, un homme courait dans les
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