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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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que tout Alexandrin tient à la fois de lui et du Pharaon.
    — Et toi, de qui tiens-tu, Juif ?
    — D’Abraham, général, tout comme toi. Les fils d’Israël sont frères de ceux d’Ismaël. Nous sommes enfants du Livre, toi et moi.
    Amrou balaya d’un geste du bras les rayonnages qui les entouraient.
    — Et ces livres-là, qu’ajoutent-ils de plus aux paroles que dicta le Tout-Puissant à ses prophètes ?
    Philopon jeta un regard désespéré à sa nièce et au médecin. Pour ouvrir l’esprit de cet homme, pour sauver la Bibliothèque, il faudrait toute la fougue et l’enthousiasme de leur jeunesse. Lui, il ne le pouvait plus. Mais que disait Rhazès ?
    — Tous les livres sont d’inspiration divine, car tous louent la beauté de la Création.
    Le malheureux ! Il répétait la même chose que Philopon, quelques heures plus tôt, ce qui avait provoqué une discussion oiseuse où Amrou, arc-bouté sur son Coran, niait, au nom de son dieu, toute valeur aux écrits des Anciens.
    Heureusement, Hypatie comprit que la conversation allait s’enliser dans un domaine qui lui était tout à fait étranger. Elle connaissait la réputation de ces hommes du désert enclins au rêve, à la poésie, au merveilleux. C’était par là qu’il fallait entraîner Amrou. La flatterie non plus ne serait pas inutile. Ni la séduction, ce qui était un peu la même chose.
    — On dit que tu es le plus courageux, mais aussi le plus clément des guerriers. Ta réputation a franchi les déserts et les mers. Jusqu’à Byzance, on te craint et te respecte. Alexandre lui-même eût sans doute aimé t’avoir auprès de lui. Que tu deviennes le maître de la ville qu’il a fondée me semble légitime.
    Amrou eut une petite moue signifiant qu’il n’était pas dupe du compliment. Hypatie poursuivit :
    — Une de mes servantes, qui fréquente d’un peu trop près, à mon goût, et au détriment de son travail, l’un de tes lieutenants, m’a rapporté que si ta vaillance n’appartient qu’à toi seul, tu tiens ta sagesse de ton aïeul, chef de ta tribu, un saint homme fort érudit et qui vécut ses dernières années retiré, occupé seulement à la contemplation des astres et à la méditation. Est-ce vrai que tu passas ton enfance à ses côtés ?
    — Mon lieutenant n’a pas menti à ton esclave, belle demoiselle. Hélas, mon grand-père vénéré mourut avant d’avoir connu la parole du Prophète.
    — Aristote non plus ne l’a pas connu. Pourtant, par sa sapience, il mérite, tout autant que ton aïeul, le paradis.
    — Si cela est écrit… Mais ne va donc pas me rebattre les oreilles, comme ton oncle, de cet Aristote. À croire que ce lieu ne contient que les ouvrages de ce fâcheux-là.
    Philopon grommela son mécontentement dans sa longue barbe, tandis que sa nièce et Rhazès se regardèrent en pouffant. À ce spectacle, Amrou se détendit :
    — Allons, belle jeunesse, un peu plus de respect pour les vieilles gens… Et pour leurs manies. Quant à moi, je balance entre vos deux âges.
    Hypatie perçut dans cette dernière phrase comme un soupçon de jalousie à l’encontre du jeune médecin. Il est vrai que Rhazès, non sans fatuité, se tenait très près de la jeune femme comme s’il y avait entre eux autre chose que de l’amitié. Elle s’écarta de lui légèrement.
    — Je ne sais si ton grand-père eût été fier de ta conquête guerrière, dit-elle, mais je suis sûre que s’il t’avait vu en possession de ces sept cent mille ouvrages, il t’aurait demandé d’y réfléchir à deux fois avant de les détruire.
    Un nuage passa devant les yeux du général. Comment faire comprendre à ces gens que la décision ne viendrait pas de lui, mais du calife Omar ? Il ne put que répéter l’argument auquel il s’accrochait et qui lui semblait de plus en plus spécieux :
    — Qu’y a-t-il dans ces livres que le Prophète ne nous ait appris ?
    Hypatie eut une mimique d’enfant irritée. Elle n’en était que plus charmante.
    — Laissons cela, je te prie. Et dis-moi plutôt si ton grand-père eût aimé répondre à ces cinq questions : Où est le centre de l’Univers ? Combien de mouvements peuvent décrire les planètes ? Quelle est la forme et la dimension de la Terre sur laquelle toi et moi nous vivons ? D’où la Lune reçoit-elle sa lumière ? Combien y a-t-il d’étoiles dans le ciel ?
    — Comme c’est étrange, Hypatie ! Quand mon aïeul et moi, allongés sur le

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