Le Capitaine Micah Clarke
avaient vue sur la place du Marché, et
d'où ils pouvaient assister au défilé.
Ces graves bourgeois, aux barbes taillées en
carré, aux vêtements de drap, avec leurs imposantes moitiés en
velours et taffetas à triple poil, regardaient du haut de leurs
observatoires, tandis que çà et là s'entrevoyait sous la coiffe
puritaine une jolie figure timide et très propre à confirmer la
renommée de Taunton, ville aussi célèbre par la beauté de ses
femmes que pour les prouesses de ses hommes.
Les côtés de la place étaient occupés par la
masse compacte des gens du peuple, vieux tisseurs de laine à la
barbe blanche, matrones aux faces revêches, villageoises avec leurs
châles posés sur la tête, essaims d'enfants, qui de leurs voix
aiguës acclamaient le Roi Monmouth et la succession
protestante.
– Sur ma foi, dit Sir Gervas, en faisant
reculer son cheval jusqu'à ce qu'il se trouvât sur la même ligne
que moi, nos amis aux bottes carrées ne devraient pas être si
pressés d'aller au ciel, alors qu'ils ont parmi eux, sur terre, des
anges en si grand nombre. Par le Corps Dieu ! ne sont-elles
pas belles ! Et à elles toutes, elles n'ont pas une mouche,
pas un diamant, et pourtant que ne donneraient pas vos belles
fanées du Mail ou de la Piazza pour avoir leur innocence et leur
fraîcheur ?
– Je vous en prie, au nom du ciel, ne leur
envoyez pas de ces sourires et de ces saluts, dis-je. Ces
politesses sont de mise à Londres, mais elles seraient entendues de
travers parmi ces simples villageoises au Somerset et leurs
parents, gens à la tête chaude, et qui frappent dur.
J'avais à peine dit ces mots que la porte à
deux vantaux de l'Hôtel de Ville s'ouvrit, et que le cortège des
pères de la cité apparut sur la place du marché.
Deux trompettes en justaucorps
ini-parti
les précédaient, en sonnant une fanfare sur
leurs instruments.
Derrière eux venaient les aldermen et les
conseillers, graves et vénérables vieillards, drapés dans des robes
de soie noire à traîne, aux collets et aux bords formés de
coûteuses fourrures.
Après eux s'avançait un petit homme rougeaud,
bedonnant, qui tenait à la main la verge, insigne de son
office.
C'était le secrétaire de la ville.
Le défilé des dignitaires se terminait par la
haute et imposante personne de Stephen Timewell, Maire de
Taunton.
Il y avait dans l’extérieur de ce magistrat
bien des choses faites pour attirer l'attention, car tous les
traits qui caractérisaient le parti puritain, auquel il
appartenait, se personnifiaient et s'exagéraient en lui.
Il était d'une taille très haute, extrêmement
maigre, avec un air fatigué, des paupières lourdes, qui
trahissaient les jeûnes et les veilles.
Les épaules courbées, la tête penchée sur la
poitrine marquaient les effets de l'âge, mais ses yeux brillants,
d'un gris d'acier, l'animation qui se remarquait dans les traits de
sa figure pleine de vivacité, prouvaient à quelle hauteur
l'enthousiasme religieux pouvait s'élever au-dessus de la faiblesse
corporelle.
Une barbe pointue, en désordre, tombait à
mi-chemin de sa ceinture.
Ses longs cheveux, blancs comme la neige,
s'échappaient en voltigeant de dessous une calotte de velours.
Cette calotte était fortement tendue sur le
crâne de façon à faire saillir les oreilles dans une position
forcée, de chaque côté, coutume qui a valu à son parti l'épithète
de « dresse-l'oreille » qui lui fut si souvent appliquée
par ses adversaires.
Son costume était d'une simplicité étudiée, de
couleur sombre.
Il se composait de son manteau noir, de
culottes en velours foncé, de bas de soie, avec des nœuds de
velours aux souliers à la place des boucles alors en usage.
Une grosse chaîne d'or, qu'il portait au cou,
était la marque de son office.
En avant de lui marchait à pas comptés le gros
secrétaire de la ville, au gilet rouge, une main sur la hanche,
l'autre étendue pour brandir la verge qui lui servait
d'insigne.
Il jetait des regards solennels à droite et à
gauche, s'inclinait de temps en temps comme s'il s'attribuait les
applaudissements.
Ce petit homme avait attaché à sa ceinture un
énorme sabre qui résonnait sur ses pas avec un bruit de ferraille
sur le pavé formé de galets, et qui de temps en temps se mettait
entre ses jambes.
Alors l'homme l'enjambait d'un air brave et
reprenait sa marche sans rien perdre de sa dignité.
Trouvant à la fin ces interruptions trop
fréquentes, il abaissa la
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