Le Capitaine Micah Clarke
poignée de son sabre de manière à en
élever la pointe, et il continua à marcher avec l'air d'un coq
bantam dont la queue aurait été réduite à une seule plume.
Lorsque le Maire eut passé en avant et en
arrière des différents corps et les eut inspectés avec une minutie
et une attention bien propres à prouver que l'âge n'avait point
émoussé ses qualités militaires, il fit demi-tour dans l'intention
évidente de nous parler.
Aussitôt son secrétaire s'élança devant lui,
agitant les bras, et criant à tue-tête :
– Silence, bonnes gens ! Silence pour le
très honorable Maire de Taunton ! Silence pour le digne Maître
Stephen Timewell.
Et au milieu de ses gestes et de ses cris, il
s'empêtra encore une fois dans son arme démesurée, et alla s'étaler
à quatre pattes dans le ruisseau.
– Silence, vous même, Maître Tetheridge, dit
d'un ton sévère le magistrat suprême, si l'on vous rognait votre
épée et votre langue, ce serait aussi avantageux pour vous que pour
nous. Ne saurais-je dire quelques mots opportuns à ces braves gens
sans que vous veniez m'interrompre par vos aboiements
discordants ?
L'encombrant personnage se ramassa et
s'esquiva derrière le groupe des conseillers, pendant que le Maire
gravissait avec lenteur les degrés de la croix du marché.
De là, il nous parla d'une voix haute,
perçante, qui prenait plus d'ampleur à chaque mot, si bien qu'elle
s'entendait jusque dans les coins les plus éloignés de la
place.
– Amis dans la foi, dit-il, je rends grâce au
Seigneur d'avoir été épargné dans ma vieillesse pour être présent à
cette pieuse réunion. Car nous, gens de Taunton, nous avons
toujours entretenu vivante parmi nous la flamme du Covenant,
parfois peut-être obscurcie par les courtisans des circonstances,
mais restée toujours allumée dans les cœurs de notre peuple.
Toutefois il régnait autour de nous des ténèbres pires que celles
de l'Égypte, alors que Papisme et Prélatisme, Arminianisme et
Érastianisme faisaient rage et se donnaient libre cours sans
rencontrer d'obstacle ni de répression. Mais que vois-je
maintenant ? Vois-je les fidèles se retirer tremblants en
leurs cachettes, et dressant l'oreille pour percevoir le bruit des
fers des chevaux de leurs oppresseurs ? Vois-je une génération
docile aux maîtres du jour, avec le mensonge aux lèvres, et la
vérité ensevelie au fond de son cœur ? Non, je vois devant moi
des hommes pieux, qui viennent non seulement de cette belle cité,
mais encore de tout le pays à la ronde, et des comtés de Dorset, et
de Wilts, certains même, à ce qu'on me dit, du Hampshire, tous
disposés, empressés à besogner vigoureusement pour la cause du
Seigneur. Et quand je vois ces hommes fidèles, et quand je pense
que chacune des grosses pièces de monnaie qu'ils ont dans leurs
caisses est prête à les soutenir, et quand je sais que ceux qui,
dans le pays, ont survécu aux persécutions, rivalisent de prières
pour nous, j'entends une voix intérieure qui me dit que nous
abattrons les idoles de Dagon et que nous bâtirons dans cette
Angleterre, notre pays, un temple de la vraie religion tel que ni
Papisme, ni Prélatisme, ni idolâtrie, ni aucune autre invention du
Mauvais ne prévaudra jamais contre lui.
Un sourd murmure d'approbation que rien ne
pouvait contenir, monta des rangs compacts de l'infanterie
insurgée, en même temps que les armes ou mousquetons retombaient
sur le pavé avec un bruit sonore.
Saxon tourna à demi sa figure farouche, en
levant la main d'un signe d'impatience.
Le grondement rauque s'éteignit parmi nos
hommes, pendant que nos compagnons de droite et de gauche, moins
disciplinés, continuaient à agiter leurs branches vertes et à faire
sonner leurs armes.
Les gens de Taunton restaient immobiles,
résolus, silencieux, mais leurs traits contractés, leurs sourcils
froncés prouvaient que l'éloquence de leur concitoyen avait remué
jusqu'en ses profondeurs l'esprit fanatique qui les
distinguait.
– J'ai en main, reprit le Maire, en tirant de
sa poitrine un papier roulé, la proclamation dont notre royal chef
s'est fait précéder. En sa grande bonté, en son abnégation, il a,
dans le premier appel daté de Lyme, fait savoir qu'il laisserait le
choix d'un monarque aux Communes d'Angleterre, mais ayant appris
que ses ennemis faisaient de cette déclaration l'usage le plus
scandaleux, le plus vil, et assuraient qu'il avait trop peu de
confiance en sa propre cause pour
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