Le chant du départ
le directeur des études de l’école, s’inquiète.
On lui rapporte que ce cadet, boursier du roi, déclame des vers de sa composition où il décrit sa patrie surgissant dans un songe, lui remettant un poignard et lui prédisant : « Tu seras mon vengeur. »
Des dessins circulent où on le voit caricaturé par ses camarades sous les traits d’un jeune cadet vigoureux marchant d’un pas altier, alors qu’un vieux professeur s’accroche en vain à sa perruque, tentant de le retenir. Et la légende commente : « Bonaparte, cours, vole au secours de Paoli pour le tirer des mains de ses ennemis. »
Situation étrange : ce cadet-gentilhomme, futur officier de l’armée du roi, se veut en même temps le « vengeur » de Paoli que les troupes du roi ont vaincu !
Et cet élève ne cache ni ses opinions, ni sa détermination.
M. Valfort et les administrateurs de l’école le convoquent. Il est bien jeune, ce patriote corse ! Son enthousiasme imprudent est d’une certaine manière garant de la pureté de son caractère.
D’ailleurs, pour ces officiers, le patriotisme est une vertu. Ils jugent cependant que l’amour de la Corse ne doit pas l’emporter sur la reconnaissance due aux bontés du monarque. Bonaparte les écoute, raidi dans un garde-à-vous.
Il porte l’habit bleu à collet rouge et à doublure blanche avec des galons d’argent. Il tient à la main son chapeau brodé d’argent.
Il ne sent aucune hostilité chez Valfort et les autres officiers. Et lui-même a l’impression d’être compris.
— Monsieur, lui dit-on, vous êtes élève du roi. Il faut vous en souvenir et modérer votre amour pour la Corse, qui après tout fait partie de la France.
Il accepte la remontrance. Mais rien ne change dans son comportement.
Il est inébranlable, et d’autant plus qu’il est sûr de lui-même. Ce n’est pas le luxe de l’école qui lui donne cette assurance. Il confie comme un reproche : « Nous sommes nourris, servis magnifiquement, traités en tout comme des officiers jouissant d’une grande aisance, plus grande que celle de la plupart de nos familles, plus grande que celle dont la plupart de nous jouirons un jour. »
Il est un roc parce qu’il sait ce qu’il veut et qu’il est persuadé qu’il a les qualités nécessaires à la réalisation de son but.
Dans la chambre, il explique à Des Mazis qu’il veut sauter les étapes, obtenir au bout d’un an le grade d’officier, être nommé sous-lieutenant dans un régiment.
Pour cela, dit Bonaparte, visage contracté, corps penché en avant vers son camarade, il faut en une seule fois réussir le concours qui fait accéder le cadet-gentilhomme à une école d’artillerie et celui qui permet d’obtenir le grade d’officier. Point de séjour alors dans une école d’artillerie en tant qu’élève, mais promotion directe de cadet-gentilhomme à sous-lieutenant.
C’est une gageure !
— Je le veux, dit Napoléon Bonaparte.
Cela suppose que Bonaparte connaisse l’intégralité des quatre volumes du Traité de mathématiques du professeur Bezout – que les cadets nomment familièrement le Bezout – et qu’il puisse répondre à toutes les questions de l’examinateur, Laplace, un membre éminent de l’Académie des sciences.
Bonaparte se redresse. Il va relever ce défi, apprendre son « Bezout », être à la fois reçu élève et officier d’artillerie.
Apprendre, apprendre avec fureur.
Quand Des Mazis passe quelques jours à l’infirmerie, Bonaparte s’enferme dans la chambre et ne lève plus les yeux de son traité de mathématiques. Qu’importent les autres matières, les fautes d’orthographe, le latin, la grammaire, l’allemand ?
Le professeur de langue allemande, Baur, juge Bonaparte à l’aune de ses résultats dans cette matière.
Lorsqu’en septembre 1785, pendant la période d’examen, il constate l’absence de Bonaparte, il interroge ses camarades. On lui répond que Bonaparte concourt pour le grade de sous-lieutenant d’artillerie.
— Il sait donc quelque chose ? questionne Baur.
— Comment ? lui répond-on. C’est l’un des plus forts mathématiciens de l’école.
— Eh bien, dit l’Allemand, j’avais toujours pensé que les mathématiques n’allaient qu’aux bêtes.
Bonaparte néglige aussi les cours de danse. Il se désintéresse de la bonne éducation et des belles manières qu’on enseigne également à l’École Militaire de Paris dans le souci de conforter l’excellence et
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