le collier sacré de Montézuma
Y compris la cuisinière ?
— Oui ! M me Vauxbrun et sa grand-mère sont parties hier pour le Pays basque. Don Pedro les a escortées au train. Selon lui, elles sont excédées « par le mouvement incessant des journalistes autour de la maison qu’ils s’obstinent à assiéger » et elles recherchent un calme plus propice à un deuil. Elles doivent d’abord se rendre à Biarritz…
— Bravo pour la tranquillité, remarqua Adalbert. La grande semaine de Pâques va bientôt commencer et on y retrouvera l’Europe entière !
— Monsieur ne m’a pas permis d’achever, remarqua Romuald. J’allais dire qu’elles vont y attendre que les travaux entrepris dans leur château d’Urgarrain soient terminés. J’ajoute que les serviteurs de l’hôtel ont été généreusement rétribués et que, personnellement, en tant que dernier arrivé, j’ai touché trois mois de paie. Les autres ont reçu l’équivalent de six mois…
— Admirable ! apprécia Morosini, sarcastique. Vous oubliez Lucien Servon ? Lui a eu droit à un plongeon dans la Seine avec un parpaing aux pieds !
— Je sais, Excellence ! J’ai lu les journaux. Quelles sont mes directives à présent ?
— A-t-on fait de nouveaux prélèvements au mobilier ? interrogea Adalbert.
— Un seul… mais de taille : un portrait peu connu de Marie-Antoinette par M me Vigée-Lebrun qui se trouvait dans la chambre de Don… je veux dire de M. Vauxbrun. Il a disparu il y a trois jours, ou, pour être plus exact, trois nuits.
— Curieux, ce déménagement par petits morceaux et toujours de nuit ? remarqua Aldo.
— C’est facile à comprendre, expliqua Adalbert : la présence en plein jour de camions de transport exciterait la curiosité du quartier et ferait jaser.
— De toute façon, on jase, émit Romuald, et singulièrement à la boulangerie à l’heure des croissants du matin. Puis-je redemander à Monsieur s’il a encore besoin de mes services ? ajouta-t-il en s’adressant à Adalbert.
— Pour le moment, non, mon bon Romuald ! Vous allez pouvoir continuer à surveiller la croissance mélodieuse de vos asperges, mais ne quittez pas Argenteuil sans nous prévenir ! Vous pourriez encore nous être utile. En attendant, merci !
Un long moment, les deux hommes fumèrent en silence, enfoncés dans les Chesterfield en cuir noir, légèrement usagés mais tellement confortables. Même après que se fut fait entendre la joyeuse pétarade de la motocyclette de Romuald retourné bichonner son jardin. Finalement, abandonnant un mégot dans un cendrier, Aldo soupira :
— Toi, je ne sais pas mais moi, j’ai bien envie d’aller faire un tour rue de Lille… aux environs de minuit par exemple ?
— Et si je n’avais pas envie de t’accompagner ?
— Ça m’ennuierait fort… mais j’irais ! Tes talents de serrurier vont me manquer !
— Je plaisantais. Il faudrait m’assommer pour m’empêcher d’aller mettre mon nez là-dedans…
Il était un peu plus de minuit quand Aldo gara sa voiture de louage à quelques numéros de l’hôtel Vauxbrun. La rue était calme, silencieuse et presque obscure : le réverbère placé en face de l’ambassade d’Espagne devait avoir eu des problèmes car il ne fonctionnait pas. Ce qui laissait dans l’ombre la maison voisine. Pareillement habillés de noir et chaussés de souples souliers à semelles de crêpe, les deux hommes gagnèrent le portail dans l’intention de s’introduire par la porte piétonne. Adalbert s’apprêtait à extirper d’un sac son assortiment de clefs passées dans un anneau quand Aldo l’arrêta :
— Pas la peine, chuchota-t-il. Le portail n’est que poussé. Regarde !
Appuyant doucement sur le lourd vantail de chêne verni afin d’élargir leur champ de vision, ils purent constater que la cour était encombrée par deux gros camions de déménagement, des authentiques cette fois, autour desquels s’activait sans bruit une noria d’homme vêtus de sombre, transportant des caisses ou des meubles enveloppés de chiffons entre la porte béante de l’hôtel obscur et l’arrière ouvert des véhicules à peine éclairés par des lanternes…
— Ça y est, on embarque tout ! murmura Aldo. Pas étonnant que l’on ait renvoyé le personnel !
— Il doit rester le concierge ? Où est-il ?
— Dans son lit ? Acheté ou drogué ? Ces gens-là m’ont l’air d’en connaître long sur l’art d’abrutir leurs
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