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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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n'y avait qu'un interphone sur lequel elle appuya tout le poids de son corps, répétant simplement à la question que Mario posait d'une voix enrouée : « I am Joan, Joan Finchett », tout à coup incertaine, songeant à s'éloigner avant qu'il n'ouvrît, montant néanmoins l'escalier, arrivant sur le palier toujours plongé dans l'obscurité, essoufflée.
    Quand elle vit Mario Grassi, elle se laissa tomber contre lui, frottant sa joue à la laine rêche de son pull-over blanc. Elle eut envie de sangloter. Et elle se reprocha cette émotion, la facilité avec laquelle elle s'abandonnait.
    Son corps se soulevait malgré elle. Il se cambra. Elle était une arche qui vibrait et elle avait la sensation qu'elle allait se briser tant elle était tendue. Comme elle le craignait et le désirait, elle fut emportée, ne reprenant conscience que des minutes plus tard, alors que Mario Grassi s'était mis à lui parler.
    Connaissait-elle Franz Leiburg, demandait-il. Celui-ci le prétendait. Il était passé à l'Institut, il voulait la voir.
    Joan s'était recroquevillée.
    Grassi bâillait, la tête tournée du côté gauche. Leiburg, quel drôle de regard... Un bonhomme, non? Ses derniers livres, malsains. Mais que lui restait-il, à cet âge, pour se donner l'illusion d'être encore en vie?
    Une dernière phrase de Mario s'était perdue dans sa respiration comme un éboulis.
    Et Joan s'était appliquée à guetter son souffle, essayant de ne plus penser.

    40.
    DÈS que Joan s'était retrouvée seule, après que Mario Grassi, lui tenant maladroitement les épaules, eut essayé de l'embrasser - elle avait seulement présenté ses joues alors qu'elle désirait tant sa bouche, sa langue, mais ils se trouvaient devant l'entrée du journal et elle avait craint qu'on ne les vît : peut-être Arnaud ou Bedaiev, ou Jean-Luc qu'elle voulait éviter à tout prix -, après que la voiture de Mario eut démarré puis disparu dans la rue de Rennes, Joan avait éprouvé un sentiment inattendu, né de son ventre, d'abord comme un chaud frémissement sous la peau puis qui montait jusqu'à la gorge, et elle avait alors eu envie de rire comme parfois quand on a bu, qu'on ne parvient plus, l'espace de quelques secondes, à se contrôler et que les autres vous observent avec surprise et indulgence - et il semblait à Joan que l'hôtesse qui se tenait dans le hall du journal la regardait en effet avec une certaine bienveillance, peut-être même une tendresse un peu moqueuse. Joan avait eu l'impression que ses jambes tremblaient, non parce qu'elle était lasse, mais au contraire parce qu'elle était si joyeuse dans tout son corps qu'elle avait envie de sauter, de gravir les quatre marches menant à l'ascenseur en courant, en dansant. Voilà ce qu'elle ressentait, et elle s'observait avec étonnement. Elle n'osait prononcer ces petits mots si ridicules qu'elle n'avait que si rarement pensés : Je l'aime. Est-ce qu'on ose encore conjuguer ce verbe quand on patauge depuis des années déjà dans la vie? Quand on a coutume de placer sur la table d'une cuisine, d'une cellule ou d'une chambre d'hôpital son magnétoscope portatif, de vérifier que le voyant rouge clignote, indiquant qu'on peut enregistrer, que « ça » tourne, et de lancer d'une voix grave, tête baissée : « Racontez-moi comment ça s'est passé. »
    Joan avait tant de fois posé cette question, tant de fois écouté, quand elle se retrouvait seule devant son ordinateur, la bande enregistrée, pauvres voix, pauvres vies qu'elle avait mises en mots, en pages! La guerre, la chair pantelante... Tant d'Ariane déjà dont elle avait voulu dire la vie...
    Mais si peu de fois elle avait écrit Je l'aime!
    C'était toujours au moment du regret, de la douleur, du désespoir qu'elle avait rencontré l'amour. Peut-être ne le saisissait-on que quand il n'était plus, ou pas encore? L'amour comme un espace flou entre attente et souvenir? Qu'on peut guetter sans jamais le saisir, car, pour le décrire, il faut l'éprouver, et on ne sait parler que du manque, que du vide qu'il laisse?
    C'est pour cela que Joan s'était arrêtée au bas des quatre marches, dans le hall du journal, tout étonnée de cette joie physique, de cet enthousiasme qui était l'affaire de son corps, non pas parce qu'elle avait fait l'amour, mais parce qu'elle avait rencontré quelqu'un, un autre être humain avec qui elle avait pu coucher nue, dormant avec lui, l'écoutant geindre dans son sommeil, la tête un peu penchée

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