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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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jouer à la pudeur. »
    « Je vous touche, maman, et ça me fait
mal. Je me souviens que quand j’étais petite, je voulais que vous me preniez
dans vos bras. La journée du déménagement, quand votre jument est morte, vous
l’avez flattée pendant des minutes et des minutes. Moi, maman, vous ne m’aviez
même pas embrassée quand j’étais revenue du couvent. Des fois, maman, je vous
en voulais tellement. Parce que je vous aimais trop. Parce que je voulais vous
ressembler. Tout le monde me disait que j’étais différente de vous, même le
curé Grenier. Me dire ça, c’était me dire que je ne valais rien. Pendant des
années, j’ai pensé que si on ne pouvait pas blaguer, que si on ne pouvait pas
rester droite quand tout allait mal, que si on ne se distinguait pas comme vous
le faisiez, on n’existait pas. On était une personne inintéressante. »
    « Dans le fond, ma Blanche, je pense que
tu es celle de mes filles qui me ressemble le plus. Douville te l’a dit, il me
semble, le soir où il t’a donné ta trousse médicale. Malgré tes airs d’ange, tu
as la tête aussi dure que la mienne. Tu réagis aussi vite que moi. C’est pour
ça que tu as été une extraordinaire infirmière. Je pense que tu as hérité de
mes rares qualités. Tu as aussi toutes celles de ta grand-mère Pronovost. La
douceur, la générosité, la tendresse. C’est dommage que tu ne t’en rendes pas
compte. Je t’envie d’avoir eu plus de flair que moi. Maintenant, tu sais que ta
vie va être à peu près facile. Parce que tu as attendu, attendu tant que tu n’as
pas été certaine. Je t’envie, Blanche, je t’envie tellement. »
    « Je vous envie, maman. Je vous envie
tellement. J’aurais aimé vivre la passion que vous avez eue. Moi, je ne l’ai
pas et je ne l’aurai jamais. Toute ma passion a brûlé à Villebois. J’avais la
passion de ce que je faisais. Je n’ai jamais eu de passion pour ce que j’étais.
J’ai marié un homme extraordinaire. Je l’aime. Il est comme vous, maman. Il
vous ressemble énormément. Si on lui dit que quelque chose est impossible, il
va prouver le contraire. Moi, si on me dit que quelque chose est impossible, je
m’incline. Je n’éprouve pas de passion, maman. Juste de l’amour. J’ai peur de
la passion. C’est trop facile à anéantir. Mais je vous envie, maman, je vous
envie tellement. »
    Émilie fut secouée par une quinte de toux.
Blanche se demanda si son cancer n’avait pas déjà atteint ses poumons. Elle lui
tapota le dos jusqu’à ce qu’Émilie reprenne
son souffle et courut lui chercher un verre d’eau. Émilie se calma enfin et
feignit de ne pas voir les lumières de Montréal qui commençaient à colorer la
noirceur de la nuit.
    « Je t’ai toujours dit, Blanche, de ne
jamais dépendre de personne. Maintenant que j’ai vieilli, je sais que je vais
dépendre de toi. Accepter de dépendre de quelqu’un, Blanche, c’est accepter sa
faiblesse, c’est s’accepter, c’est accepter d’aimer assez fort. Je suis
heureuse de voir que tu n’as pas retenu cet enseignement-là. Tu as un mari sur
lequel tu peux compter. Moi, j’ai décidé de te montrer toute la faiblesse qui
m’envahit de jour en jour. C’est chez toi que je vais mourir, Blanche, et tu le
sais. Je n’aurais jamais pu mourir ailleurs. Je t’ai fait naître dans la
tourmente d’une tempête. Je trouve juste de te donner ma dernière tourmente à
moi, pour que tu me connaisses vraiment. Je veux te montrer mon ultime
faiblesse pour te rendre la force dont je t’ai privée. La naissance et la mort,
Blanche, ça se ressemble. On passe de la noirceur à la clarté ou de la clarté à
la noirceur. Mais je t’aime, Blanche, et je sais que jamais je ne te l’ai dit.
Je t’aime tellement. »
    « Je vous aime, maman, et jamais je ne
vous l’ai dit. Je vous aime tellement. Nous allons vivre des mois difficiles et
je sais que vous, vous ne pourrez plus vous aimer. Je ne vous ai jamais parlé
de M. Qui, un de mes patients. C’est la veille de sa mort que sa fille lui
a pardonné la vie qu’il lui avait donnée. Pendant ces jours et ces mois qui
s’en viennent, je vais essayer de vous montrer à quel point vous nous avez
montré à aimer. Quoi qu’il arrive, maman, quoi que vous disiez ou que vous
fassiez, je vais vous aimer. Nous allons inverser les rôles. Je vais devenir la
mère de votre faiblesse. Je vais vous laver, vous nourrir, vous peigner. Je
vais vous faire rire aussi, je

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