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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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il a perdu ses prérogatives essentielles. Il lui reste des brimborions, et surtout la gestion des propriétés de la Ville et l’organisation de ses emprunts. De plus, il est décoratif dans les cérémonies. « Robe de satin rouge couverte d’une toge fendue mi-partie rouge mi-partie tannée, et la toque du même acabit. »
    — Je vois ! fit Semacgus. Il en est de certaines personnes en place comme des chevilles et des clous que l’on considère comme d’une absolue nécessité pour joindre toutes les parties d’un édifice, quoique leur valeur intrinsèque soit réputée nulle.
    Nicolas rit de bon cœur à ce trait. Un long moment de silence suivit, au cours duquel le bruit des voitures, les cris des cochers et le piétinement de la foule en marche emplirent la voiture de la rumeur d’une marée qui montait en tempête.
    — Vous ne m’avez rien dit de ces deux semaines, Nicolas. Ni de l’impression que vous a faite notre future souveraine.
    — J’ai accompagné Sa Majesté au pont de Berne, en forêt de Compiègne, pour y accueillir la Dauphine.
    Il redressa la tête d’un air faraud.
    — J’ai galopé aux portières du carrosse royal et j’ai même recueilli un sourire amusé de la princesse lorsque, mon cheval s’étant cabré, j’ai failli vider les étriers. Le roi a alors crié avec sa voix de chasse : « Ferme, Ranreuil, ferme ! »
    Semacgus sourit au récit juvénile de son ami.
    — Mieux en cour que vous, il est malaisé !
    — Le soir du mariage, il y a eu jeu chez le roi et le feu d’artifice fut remis au samedi suivant en raison de l’orage. Le succès fut au rendez-vous. Peignez-vous l’éblouissement d’une girande 5 de deux mille fusées géantes et de tout autant de bombes. Elles ont illuminé le parc jusqu’à l’extrémité du grand canal. Là, une façade de cent pieds, représentant le Temple du Soleil, s’est désagrégée en mille fantaisies. La cohue fut immense et l’introducteur des ambassadeurs dut régler d’interminables querelles de préséance entre les invités de marque conviés aux balcons du palais.
    — Et la dauphine ?
    — C’est encore une enfant. Belle, certes, mais peu formée. Beaucoup de grâce dans la démarche. Les cheveux sont d’un beau blond. Le visage est un peu allongé avec des yeux bleus et un teint magnifique, de porcelaine. J’aime moins la bouche, avec sa lèvre inférieure épaisse et pendante. M. de la Borde prétend qu’elle serait fort négligée et que le Dauphin en serait incommodé…
    — Tout cela est du dernier galant, Nicolas ! s’esclaffa Semacgus. Je crois que le policier en vous l’emporte pour le coup sur l’honnête homme. Et le Dauphin ?
    — Berry est un très grand garçon dégingandé aux gestes brusques. Il se balance en marchant et donne l’impression de ne rien voir et de ne rien entendre, paraissant étranger à tout. Le soir de ses noces, le roi l’a vivement encouragé à… enfin, à songer à la succession…
    — Le principal ministre, Choiseul, n’épargne guère notre futur roi et le décrit comme incapable, observa Semacgus. On dit que celui-ci refuse de lui parler, arguant d’une offense faite par le duc à feu son père.
    — L’offense frôlait la lèse-majesté : Choiseul priait le ciel de lui épargner d’avoir à obéir comme sujet au futur roi !
    L’arrêt brutal de la voiture les projeta tous les deux en avant. Se redressant, Nicolas ouvrit la portière et sauta à terre. Un embarras de carrosses, songea-t-il. En fait, une berline sortant de la rue de Belle-Chasse avait tenté de s’insérer dans la longue cohorte de véhicules en file rue de Bourbon. Il eut du mal à se frayer un chemin au milieu des badauds agglutinés. Que n’avait-il écouté le judicieux conseil de Semacgus, qui avait proposé d’emprunter le pont de Sèvres et de gagner la place Louis XV par la rive droite de la Seine ! Il s’était entêté à prendre un chemin plus direct par la rive gauche et le pont Royal. Il finit par rompre un cercle de curieux qui regardaient à terre un spectacle navrant.
    Un vieillard qui venait sûrement d’être renversé par la voiture gisait dans son sang, le visage exsangue et les yeux révulsés. La perruque et le chapeau avaient glissé, laissant apparaître un crâne lisse couleur ivoire. Agenouillée près du corps, une vieille en habit bourgeois, le mantelet en désordre, pleurait en silence et essayait de redresser la tête du blessé. Elle

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