Le faucon du siam
monsieur? »
Aamout Faa se sentit soudain mal à l'aise. De grandes
processions, des présents somptueux, un grand vaisseau nommé Alliance ?
Pourquoi ne l'avait-on pas informé? Les préparatifs avaient dû se faire dans le
plus grand secret pour que ses hommes n'aient entendu parler de rien. Les
Siamois possédaient bien quelques navires au longs cours, mais jamais il
n'avait entendu parler d'un bâtiment baptisé Alliance. Le nom était
assurément inquiétant. L'un des vaisseaux avait-il été rebaptisé récemment?
En tant que directeur de la Compagnie hollandaise, Faa
était gêné de devoir avouer à son visiteur qu'il ignorait ce qui se passait
exactement.
« Il y a tant de processions dans ce pays, capitaine, que
j'ai cessé de demander ce qu'elles signifient. Mais je me ferai un plaisir de
me renseigner pour vous. » Il se pencha sur son bureau et frappa un gong.
Un domestique apparut presque aussitôt. Faa n'eut pas le
temps d'ouvrir la bouche que l'homme annonçait l'arrivée d'un mandarin de haut
rang dans une chaise à porteurs, accompagné de dix esclaves ; le chef des
esclaves n'avait pas indiqué son nom, mais seulement son rang. C'était un
mandarin de première classe et il souhaitait parler immédiatement au directeur.
« Alors fais-le entrer », dit Aarnout Faa d'un ton
affable. Il se tourna vers le capitaine. « Nous allons avoir bientôt la réponse
à votre question. » Le capitaine inclina la tête.
Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit pour
livrer passage à un personnage resplendissant, vêtu d'une blouse brodée d'or et
allongé sur une litière en bois délicatement sculptée, portée par six esclaves.
Faa ne reconnut pas immédiatement l'homme au chapeau conique entouré d'une
horde d'esclaves. Mais dès l'instant où celui-ci le salua, un frisson le
parcourut.
« Bienvenue, heer Phaulkon, dit le Hollandais en
essayant de contrôler sa voix. On m'a dit que vous avez été blessé dans
l'héroïque bataille contre les Macassars. J'espère que vous vous en remettez
convenablement ? »
Les esclaves abaissèrent la litière et l'un d'eux se
posta quelques pas en avant pour permettre à Phaulkon d'allonger la jambe sur
ses épaules.
« Très rapidement, je vous remercie, heer Faa. Il
y a tant de bonnes nouvelles pour me réconforter ces jours-ci. Il semble que
cela aide aussi le corps. »
Le capitaine regardait avec des yeux étonnés cet Européen
vêtu à l'orientale, qui pariait un hollandais parfait et que l'on traitait
comme un éminent dignitaire local. Les cinq autres esclaves de Phaulkon étaient
immobiles et prosternés à ses pieds.
« Mais permettez-moi de vous présenter le capi-taine
Cijfer, de la marine royale hollandaise. Voici... euh... Son Excellence le
Seigneur Phaulkon, fit le directeur en avalant difficilement sa salive.
— Très honoré, mon Seigneur, dit le capitaine en
s'inclinant. Mais je vais attendre dehors. Je suis certain que vous avez à
discuter d'affaires qui...
— Tout au contraire, capitaine, dit Phaulkon en
levant la main, votre présence ici est fort opportune. Ce que j'ai à annoncer
vous concerne également. »
Le capitaine le regarda d'un air déconcerté.
Que voulait-il dire? se demanda Aarnout Faa. Que
savait-il de ce capitaine ou de sa mission ? Les navires hollandais avaient dû
mouiller au large et il était peu probable que la nouvelle eût voyagé jusqu'ici
plus vite que le capitaine Cijfer lui-même. Une vague d'appréhension 1
etreignit.
« Vous m'intriguez, heer Phaulkon, fit le
directeur hollandais en se forçant à sourire.
— Monsieur, commença Phaulkon, on va prochainement
annoncer une importante alliance entre deux grandes nations. Étant donné les
relations particulières que votre pays entretient de longue date avec le Siam,
je voulais que vous soyez le premier à l'apprendre.
— Vraiment, heer Phaulkon. Et de quelles
nations s'agirait-il donc? »
Phaulkon prit son temps et le regarda longuement. Il eut
un geste imperceptible vers sa boîte à bétel incrustée de diamants : un esclave
aussitôt l'ouvrit et la lui tendit humblement. Phaulkon y prit une noix de
bétel enveloppée dans une feuille et se mit à la mâcher. Aarnout Faa agitait
ses pieds d'un air embarrassé sous son bureau tandis que le capitaine
continuait à regarder la scène, comme abasourdi.
« Des négociations secrètes sont engagées depuis quelque
temps entre Leurs Majestés le roi Louis de France et le roi Naraï de
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