Le faucon du siam
pas
de votre avis sur ce point. C'est vous qui l'avez détruite.
— C'est votre opinion, et libre à vous de l'avoir,
si erronée qu'elle puisse être. Je le tolérerai pour cette fois, mais je ne
souhaite pas l'entendre exprimée de nouveau en ma présence. » Phaulkon avait
dit tout cela d'un ton très ferme. « Et aujourd'hui est le dernier jour où vous
pouvez m'appeler heer Phaulkon. »
Le Hollandais jeta un coup d'oeil embarrassé au capitaine
Cijfer et avala difficilement sa salive.
« Vous disiez, Excellence, que les relations entre le
Siam et la Hollande se poursuivront comme avant?
— Absolument. Et, si la Hollande s'acquitte
honorablement de ses devoirs, je prévois une période de fructueuses relations
entre nous. Surtout que les Anglais ne sont pas près de revenir. » Phaulkon se
tourna vers le capitaine. « Êtes-vous ici en mission commerciale, capitaine ? »
Cijfer jeta un bref coup d'œil à Faa, puis balbutia : «
Heu... oui..., monsieur, je veux dire Excellence.
— Dans ce cas, je vous serais reconnaissant de bien
vouloir rester jusqu'à demain pour assister à mon investiture. » Il lui adressa
un aimable sourire. « L'honorable Compagnie hollandaise aura une place qui lui
sera spécialement réservée. »
Le capitaine s'inclina bien bas. « Ce sera un grand
honneur, Excellence. »
Phaulkon tapa sur le montant de sa litière et les
esclaves la reprirent sur leurs épaules. Il se tourna vers Aarnout Faa :
« Alors, puis-je compter sur votre coopération durant
cette période... disons, de transition? »
Faa regarda Phaulkon avec un respect qu'il n'arri-vait
pas à contrôler. « Monsieur, vous avez ma parole. »
Le nouveau Barcalon fut installé en grande pompe au
palais. Le gouverneur de Ligor se prosterna auprès des gouverneurs de toutes
les autres provinces pour saluer Son Excellence Pra Vichaiyen. Aarnout Faa
s'inclina très bas avec les représentants des autres nations qui faisaient
commerce à Ayuthia. Le père Vachet en fit de même avec le reste des Jésuites
qui avaient contribué à assurer la paix. Dans le fracas des cymbales et les
sonneries des trompettes, Sa Majesté apparut au balcon et annonça qu'avec son
nouveau Barcalon une ère nouvelle avait commencé en matière de politique
siamoise.
Grinçant des dents, le général Petraja sourit d'un air
affable tandis que Luang Sorasak, un bandage autour de la tête, assistait à
l'investiture en rongeant son frein avant de partir pour la lointaine province
du Nord de Phitsanulok, dont il avait été nommé gouverneur.
Phaulkon se maria au cours de la seconde cérémonie qui
devait se dérouler ce jour-là dans la grande cour du palais, maintenant sous
les auspices de l'évêque français d'Ayuthia, assisté du Patriarche suprême de
la loi bouddhique : c'était la première fois que les deux chefs religieux
officiaient à la même cérémonie. Sa Majesté offrit de somptueux présents aux
jeunes mariés : à titre exceptionnel et en gage de suprême honneur. Elle fit
une brève apparition montée sur son éléphant caparaçonné de joyaux et flanqué
de l'éléphant blanc de Ligor.
Toutes les dames de la cour étaient présentes,
resplendissantes dans leurs atours de cérémonie. Au milieu d'elles, prosternée,
Sunida, reconnue par tous comme la concubine élue du ministre favori du
Seigneur de la Vie : éperdue d'admiration, elle contemplait le beau Pra Klang
dans son habit de brocart vermillon que Sa Majesté lui avait offert pour
l'occasion. Tout au fond, au dernier rang, derrière les dames de la Cour et sur
invitation spéciale, était accroupie Sri. Elle portait le sarong des provinces
du Sud offert par le Palais et l'on pouvait lire sur son visage l'admiration
que lui inspirait le maître farang.
Dame Maria, rayonnante dans une longue robe blanche de
soie chinoise et coiffée d'un voile assorti, se tenait fièrement au côté de son
mari. Promenant son regard sur les dames qui l'entouraient, ses yeux
s'arrêtèrent sur Sunida : celle-ci était vraiment magnifique dans son corsage
turquoise et son panung noir, ses doigts fins étincelants de joyaux. Maria se
rappela soudain les paroles de son père, mestre Phanik. Elle
reconnaissait qu'après tout, Sunida ne constituait pas pour elle une véritable
menace. Ici, parmi la foule des concubines du palais, elle n'était qu'une
Siamoise de plus qui se conduisait conformément aux principes de son éducation.
Maria éprouva une brusque envie de lui dire
Weitere Kostenlose Bücher