Le faucon du siam
capitaine Cijfer n'auraient pu se faire en quatre jours, même s'il y avait
eu une fuite. Ce qui était impossible. Le premier courrier était un Hollandais
: il n'avait adressé la parole à personne et était aussitôt reparti. Non,
reconnut Faa avec rage, cette alliance avec la France devait être authentique.
C'était cette fichue coïncidence qui était désastreuse. Il lui fallait envoyer
une dépêche urgente à Batavia pour annoncer la nouvelle, mais prendre également
sans tarder une décision fort déplaisante concernant les navires de guerre. Il
ne pouvait en effet courir le risque d'une guerre avec la France. Il faudrait
peut-être un an ou deux avant que le roi Louis puisse exercer des représailles
contre la Hollande mais, au bout du compte, on en rejetterait la responsabilité
sur le directeur de la Compagnie hollandaise et le capitaine Cijfer en serait
le témoin.
Faa jeta un coup d'oeil au calendrier posé sur son
bureau. Si une flotte française avait vraiment pris la mer, elle pouvait
parvenir au Siam en décembre : dans sept mois seulement. Comment pourrait-il
prendre l'initiative d'un conflit avec la France, pas uniquement ici, mais
peut-être aussi en Europe? Il frissonna. Non, il reviendrait à heer Van
Goens de prendre cette décision à Batavia. Il maudit de nouveau le sort et se
sentit soudain au bord des larmes. Si l'histoire de ce diable de Phaulkon était
vraie, comment pourrait-il maintenant arrêter le nouveau Barcalon de Siam et le
jeter dans un bateau pour Madras? Les relations avec le Siam en seraient à
jamais compromises — si ce n'était déjà fait. Si Phaulkon n'avait pas été
assis, là, devant lui, Aarnout Faa se serait pris la tête à deux mains et
aurait pleuré comme un enfant. L'ambition de sa vie, de toute sa carrière,
semblait s'écrouler d'un seul coup. Au prix d'un suprême effort, il s'obligea à
considérer la situation sous un angle différent. Il restait encore à vérifier
si cette canaille de Phaulkon allait vraiment être nommée Barcalon le
lendemain. Il décida que son attitude dépendrait de la réponse. Il donnerait
l'ordre à la flotte d'attendre un jour encore. Si Phaulkon était vraiment
intronisé comme Barcalon, il renverrait les navires.
Phaulkon pouvait lire sur le visage de Faa le coup
terrible qu'il venait de lui porter. C'était le moment de montrer un peu de
compassion. En cet instant l'homme serait reconnaissant de la moindre charité
qu'on lui témoignerait.
« Heer Faa, je suis venu ici cet après-midi non
pas seulement pour vous annoncer confidentiellement l'alliance avec la France,
mais pour vous informer que, en tant que Barcalon, j'ai bien l'intention de
m'acquitter impartialement de mes devoirs. Je ne favoriserai pas un pays aux
dépens d'un autre et j'accorderai tout mon soutien à ceux qui manifestent une
amitié sincère pour le Siam. Vous ne devez plus me considérer comme attaché à
la Compagnie anglaise mais comme un fonctionnaire siamois au service du Siam. »
Il s'arrêta et dévisagea longuement Faa. « Je n'hésiterai pas à recommander
pour un mandarinat honoraire tout farang ou tout Maure qui sache faire passer
les intérêts du Siam avant les siens. »
Le capitaine Cijfer écoutait avec stupéfaction les propos
de Phaulkon. Il avait l'impression d'être arrivé à un moment qui marquerait un
tournant dans l'Histoire. Mais qui était cet extraordinaire personnage qui
allait devenir Barcalon de Siam ?
Au prix d'un énorme effort, le directeur hollandais
parvint à maîtriser l'émotion de sa voix et il ravala son orgueil.
« Le traité nous accordant le monopole du commerce des
peaux resterait en vigueur? demanda-t-il d'un ton hésitant.
— Certes, mijn heer, à moins qu'il ne donne
lieu à des abus ou qu'il ne soit révisé par consentement mutuel.
— Et les Français se verront-ils accorder des
concessions spéciales ?
— Pas plus que d'autres. Ils seront autorisés à
construire une factorerie et à commercer ici comme toute autre puissance
étrangère qui respecte les lois de ce pays.
— Et les Anglais ?
— Les Anglais, heer Faa, seront personae
non gratae jusqu'au jour où ils pourront montrer une amélioration suffisante
de leur attitude. Tant que je serai Barcalon, des gens comme Samuel Potts ne
seront pas les bienvenus ici.
— Mais, heer Phaulkon, M. Potts ne faisait
évidemment que son devoir?
— En mettant le feu à la factorerie anglaise?
— Heer Phaulkon, permettez-moi de n'être
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