Le faucon du siam
Siam,
reprit Phaulkon. Ces négociations ont été discrètement entamées par
l'intermédiaire des Jésuites, à l'époque de la visite de l'évêque d'Héliopolis,
bien avant que vous et moi ne mettions le pied au Siam, mijn heer. »
Phaulkon s'interrompit et désigna un éventail posé au pied d'un de ses
esclaves. Celui-ci s'en empara aussitôt et se mit à éventer son maître.
Machinalement, Aarnout Faa se passa une main sur le front. Consterné, le
Hollandais écouta Phaulkon poursuivre.
« Ces longues négociations ont maintenant porté leurs
fruits et ont abouti à une grande alliance entre la France et le Siam, que l'on
va proclamer aujourd'hui. Ce traité coïncidera avec le départ d'une grande
ambassade — la plus grande mission siamoise à quitter ces rives — à
l'invitation du roi Louis en personne. Comme il a été convenu, une ambassade
tout aussi importante du Roi-Soleil doit simultanément partir pour le Siam.
L'ambassade en provenance de France sera accompagnée de cinq mille soldats, embarqués
sur vingt vaisseaux de guerre. Ces troupes, envoyées par le roi Louis pour
marquer l'estime dans laquelle il tient son souverain frère, constituera la
garde personnelle de Sa Majesté siamoise. » Phaulkon s'interrompit. « Je suis
sûr que vous lisez le français, heer Faa ? »
Le Hollandais s'obligea de nouveau à sourire. Il sentait
peser sur lui le regard interrogateur du capitaine Cijfer. « Assez pour
comprendre l'essentiel, heer Phaulkon. Avez-vous quelque chose à me
montrer? »
Phaulkon ouvrit sa bourse et en tira une lettre qu'il
déposa avec soin sur le bureau de Faa. Elle portait le sceau royal de France et
même Phaulkon n'en avait pas cru ses yeux lorsqu'il l'avait découverte pour la
première fois. Elle était datée d'un peu plus d'un an et c'était un faux
absolument parfait : il fallait en attribuer le mérite à l'ingéniosité des
pères jésuites, en particulier le père Le Moutier à qui des années passées à
copier les manuscrits bibliques lors de ses études de théologie avaient permis
cet exploit. La lettre était adressée à Son Très Estimé Ami et Allié le roi de
Siam. Elle exprimait la profonde satisfaction du grand monarque à constater que
huit ans de négociations avaient abouti à un traité d'aussi bon augure. Le
temps même qu'il avait fallu pour le conclure indiquait qu'il était conçu pour
durer. La lettre continuait en énumérant les présents qu'il adressait à Son
Estimé Collègue et expliquait en outre que les cinq mille soldats d'élite
étaient destinés à constituer une garde personnelle « pour le protéger à tout
moment et de tout ennemi, quel qu'il pût être ». Les soldats avaient pour
instructions d'obéir à tous ses ordres.
À mesure qu'il lisait, on voyait pâlir le directeur
hollandais.
« Mais pourquoi, heer Phaulkon, demanda-t-il, un
document de cette importante serait-il tombé entre vos mains ? Je note qu'il
est daté d'il y a onze mois. Il a dû arriver au Siam depuis environ quatre
mois. »
C'était la question qu'attendait Phaulkon. Le moment
d'assener son coup de grâce.
« Parce que ce type d'affaires se trouve maintenant entre
mes mains, heer Faa. Voyez-vous, demain est pour moi un jour qui se
présente sous les plus heureux auspices. » Il marqua un temps. « Je vais être
nommé Barcalon de Siam. »
Aarnout Faa devint livide. Sa première réaction aurait dû
consister à hurler et à lancer des injures, mais c'était un diplomate
chevronné. Après une légère hésitation, il déclara avec calme :
« Eh bien, heer Phaulkon, je dois vous féliciter
pour votre remarquable carrière. Votre ascension a été vraiment aussi
fulgurante qu'un météore. »
Les pensées se bousculaient dans son esprit. Tout cela
pouvait-il être réel ? Peut-être cette lettre était-elle un faux? Pourtant,
même le diabolique Phaulkon aurait-il osé bluffer sur un sujet aussi important
que sa nomination au poste de Barcalon ! Seigneur Jésus, si c'était vrai, où
allait-il se retrouver? Et la Hollande? Mais pourquoi diable bluffer ou
falsifier une lettre pareille? À moins... Il eut un sourire tandis qu'une lueur
d'espoir commençait à poindre. À moins que Phaulkon n'eût, on ne sait comment,
appris l'arrivée des vaisseaux de guerre hollandais. Mais par quel moyen?
Toutes les précautions avaient été prises et lui-même n'avait été mis au
courant que quatre jours auparavant. Les préparatifs considérables évoqués par
le
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