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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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l'idée de son évacuation.
    – Y en a un, en tout cas, dans l'escouade, qui s' en r'ssent salement pour elle. Tiens : quand on parle du loup…
    – On en voit la queue…
    – Pas encore, mais presque… Tiens !
    On vit pointer et déboucher d'un taillis, sur notre droite, le museau de Lamuse comme un sanglier roux…
    Il suivait la femme à la piste. Il l'aperçut, tomba en arrêt, et, attiré, il prit son élan. Mais, en se jetant vers elle, il tomba sur nous.
    En reconnaissant Volpatte et Fouillade, le gros Lamuse poussa des exclamations de joie. Il ne songea plus sur le moment qu'à s'emparer des sacs, des fusils, des musettes.
    – Donnez-moi tout ça ! J'suis r'posé. Allons, donnez ça !
    Il voulut tout porter. Farfadet et moi nous nous débarrassâmes volontiers du fourbi de Volpatte, et Fouillade consentit, à bout de forces, à abandonner ses musettes et son fusil.
    Lamuse devint un amoncellement ambulant. Sous le faix énorme et encombrant, il disparaissait, plié, et n'avançait qu'à petits pas.
    Mais on le sentait sous l'empire d'une idée fixe et il jetait des regards de côté. Il cherchait la femme vers laquelle il s'était lancé.
    Chaque fois qu'il s'arrêtait pour arrimer mieux un bagage, pour souffler et essuyer l'eau grasse de sa transpiration, il examinait furtivement tous les coins de l'horizon et scrutait la lisière du bois. Il ne la revit pas.
    Moi, je la revis… Et j'eus bien cette fois l'impression que c'était à l'un de nous qu'elle en avait.
    Elle surgissait à demi, là-bas, à gauche, de l'ombre verte du sous-bois. Se retenant d'une main à une branche, elle se penchait et présentait ses yeux de nuit et sa face pâle qui, vivement éclairée par tout un côté, semblait porter un croissant de lune. Je vis qu'elle souriait.
    Et suivant la direction de son regard qui se donnait ainsi, j'aperçus, un peu en arrière de nous, Farfadet qui souriait pareillement.
    Puis elle se déroba dans l'ombre des feuillages, emportant visiblement ce double sourire…
    C'est ainsi que j'eus la révélation de l'entente de cette Bohémienne souple et délicate, qui ne ressemblait à personne, et de Farfadet qui, parmi nous tous se distinguait, fin, flexible et frissonnant comme un lilas. Évidemment…
    … Lamuse n'a rien vu, aveuglé et encombré par les fardeaux qu'il a pris à Farfadet et à moi, attentif à l'équilibre de sa charge et à la place où il pose ses pieds terriblement alourdis.
    Il a pourtant l'air malheureux. Il geint ; il étouffe d'une épaisse préoccupation triste. Dans le halètement rauque de sa poitrine, il me semble que je sens battre et gronder son cœur. En considérant Volpatte encapuchonné de pansements, et le gros homme puissant et bondé de sang qui traîne l'éternel élancement profond dont il est seul à mesurer l'acuité, je me dis que le plus blessé n'est pas celui qu'on pense.
    On descend enfin au village.
    – On va boire, dit Fouillade.
    – J'vas être évacué, dit Volpatte.
    Lamuse fait :
    – Meuh… Meuh…
    Les camarades s'exclament, accourent, s'assemblent sur la petite place où se dresse l'église avec sa double tour, si bien éborgnée par un obus qu'on ne peut plus la regarder en face.

CHAPITRE CINQUIÈME
  L'asile
     
    La route blafarde qui monte au milieu du bois nocturne est bouchée et obstruée d'ombres, étrangement. Il semble que, par enchantement, la forêt y déborde et y roule, dans l'épaisseur de la ténèbre. C'est le régiment qui marche, en quête d'un nouveau gîte.
    À l'aveugle, les files pesantes d'ombres, hautement et largement chargées, se bousculent : chaque flot, poussé par celui qui le suit, heurte celui qui le précède. Sur les côtés, évoluent, détachés, les fantômes plus sveltes des gradés. Une sourde rumeur, faite d'un mélange d'exclamations, de bribes de conversations, d'ordres, de quintes de toux et de chants, monte de cette dense cohue endiguée par les talus. Ce tumulte de voix est accompagné par le roulement des pieds, le tintement des fourreaux de baïonnette, des quarts et des bidons métalliques, par le grondement et le martèlement des soixante voitures du train de combat et du train régimentaire qui suivent les deux bataillons. Et c'est une masse telle qui piétine et s'étire sur la montée de la route que, malgré le dôme infini de la nuit, on nage dans une odeur de cage aux lions.
    Dans le rang, on ne voit rien : parfois, quand on a le nez dessus à la suite d'un remous, on

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