Le Fils de Pardaillan
comprit qu’elle disait vrai. Plus doucement, elle dit :
– Excusez-moi si j’insiste… Il s’agit d’une chose très importante pour moi. Savez-vous où votre frère a trouvé cette bague ?
– Il ne me l’a pas dit, fit Perrette de plus en plus étonnée.
– Votre frère, que fait-il ?… Comment s’appelle-t-il, d’abord ?
– Gringaille, madame.
Bertille tressaillit. Elle eut ce froncement de sourcils de la personne qui cherche à rappeler ses souvenirs. Et tout à coup, ses yeux brillèrent, son gracieux visage s’illumina d’un sourire, et vivement :
– J’y suis !… Votre frère n’est-il pas au service d’un jeune homme…
– Messire Jehan le Brave, oui, madame, fit Perrette, mordue au cœur par un soupçon subit.
– Vous le connaissez ? s’écria Bertille radieuse.
Perrette pâlit un peu. A son tour, elle fixa des yeux ardents sur Bertille, comme si elle ne l’avait pas vue, ou mal vue jusque-là. Pourtant, elle n’hésita pas et répondit d’une voix ferme :
– Nous nous connaissons depuis l’enfance… Il m’appelle sa petite sœur et je l’aime comme mon frère… Et vous, madame ? Vous le connaissez donc aussi ?…
Bertille eut un geste de charme et d’abandon. Elle jeta ses bras autour de Perrette, l’embrassa tendrement, et toute rougissante, lui glissa à l’oreille :
– Je serai donc votre sœur aussi, moi !… car je n’aurai pas d’autre époux que lui !… Ah ! dites-lui qu’il vienne m’arracher…
Perrette s’arracha vivement à la fraternelle étreinte et, un peu sèchement, murmura :
– Silence !… Voici la sœur et mon ouvrière.
Bertille, troublée ne remarqua pas ce brusque changement. Pour se donner une contenance, elle se mit à ranger le linge que Perrette, très indifférente en apparence, lui passait à mesure. La sœur les trouva ainsi occupées. Elle les étudia d’un œil soupçonneux cependant. Mais elle les vit très calmes et se rassura.
A l’aveu si imprévu de Bertille, Perrette, si maîtresse d’elle et si complet que fût son renoncement, avait senti son cœur se contracter sous l’affreuse douleur qui la tenaillait. Son premier mouvement, tout instinctif, avait été un mouvement de recul. L’arrivée subite de la sœur l’avait tirée fort à propos d’embarras. Maintenant elle s’était ressaisie.
Avant de sortir, elle adressa à Bertille un sourire plein de promesses. Et la jeune fille, qui comprit, radieuse, transportée de bonheur, mit doucement sa main sur son cœur pour en comprimer les battements tumultueux.
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Chapitre 9
L ecteur, nous allons vous entretenir des poules et des canards de l’abbaye. Pourquoi pas ? si les faits et gestes de ces volatiles sont de nature à exercer une influence sur la suite de ce récit.
Sur la montagne de Montmartre, à moitié chemin environ entre la chapelle Saint-Pierre, au sommet, et la chapelle du Martyr, à mi-côte, il y avait une espèce de place. Cette place était limitée comme suit : au nord (c’est-à-dire le haut de la butte) des prés avec quelques habitations. Au sud : un grand pré, en forme de langue, dont le bout venait aboutir à quelques pas de la chapelle, entourée d’une palissade en ce moment. A l’est : le mur d’enceinte de l’abbaye avec l’entrée vers le nord-est. A l’ouest : un petit chemin qui allait jusqu’à la fontaine du But, au nord, et sur le côté de la chapelle au sud.
Le long de ce chemin, des prés, des carrières, des plâtrières. Dans l’un de ces prés, en bordure de la petite place, une ferme. C’est là que nous avons affaire. La ferme était occupée par un ménage de paysans, serviteurs des religieuses. Il y avait deux grands prés séparés par une haie. Dans l’un de ces prés, picoraient des centaines de poules. Dans l’autre, au centre duquel se trouvait une grande mare, s’ébattaient des quantités d’oies et de canards. Ce n’était là qu’une partie de la basse-cour des dames. Une haie séparait ces volailles de la place.
Sur cette place, à quelques toises de la haie, un monument délabré, de forme rectangulaire. Quelques pas plus loin, une croix.
Voilà la mise en scène faite. Passons aux acteurs maintenant.
L’année précédente, le basse-courier des religieuses avait trouvé une dizaine d’œufs de cane sauvage. Le canard sauvage est moins gros que le canard domestique, mais sa chair est plus savoureuse, plus délicate. Le villageois donna ces œufs
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