Le Fils de Pardaillan
solide, encore, la mâtine !… Cornes de Dieu ! par où passer ? Ah ! l’escalier !… Deux bonds… les voilà sur la plateforme.
Victoire !… En partie défoncée, la plate-forme. Une excavation… là… on peut passer… Ils passent… Ils sont en bas, sous les fourches patibulaires… Mais ils n’y pensent plus, je vous en réponds.
Trois cris… trois hurlements de triomphe. Des gloussements effarouchés, des bruits d’ailes, une débandade, une poursuite. Nouveaux hurlements de joie, la fuite éperdue de volailles hors du gibet… Mais, résultat appréciable, trois poules déjà étranglées.
Nouveaux cris d’admiration, ébahissement, attendrissement, bénédictions, actions de grâces… Qu’est-ce donc ?
Ceci simplement : il y a là une quinzaine de nids disséminés de tous les côtés et chacun de ces nids contient une vingtaine d’œufs. C’est-à-dire de quoi vivre pendant une quinzaine.
Le premier mouvement des trois pauvres hères, qui mouraient de faim, fut de sauter sur ces providentielles provisions. En un clin d’œil, ils absorbèrent une bonne douzaine d’œufs chacun.
– Pas moins, ça soulage ! dit Escargasse.
– Et c’est frais, fit remarquer Carcagne.
– Nous en avions besoin… il était temps, cornedieu ! fit Gringaille. Et ils éclatèrent de rire… Dame, maintenant qu’ils étaient assurés de ne pas mourir de faim, au moins pendant quelque temps, ils retrouvaient leur gaieté et leur insouciance… Ils devenaient même difficiles, car Gringaille ajouta, d’un air rêveur :
– Voire !… Nous ne pouvons pourtant pas nous nourrir exclusivement d’œufs crus !…
– C’est vrai !
– Comment faire ?
– Et ces trois volailles dodues ? on ne peut pas les gober comme des œufs, elles !
La question était grave. Elle méritait réflexion. Ils réfléchirent.
– J’ai trouvé ! s’écria Gringaille, en s’administrant un coup de poing sur le crâne. Voici : il n’y a qu’à aller à l’ancien logis de messire Jehan, y prendre tous les ustensiles de cuisine qu’il possède et les apporter ici… Je ne vois pas pourquoi nous ne nous installerions pas ici.
– D’autant qu’on y est très bien… Il y a de l’air… et maintenant que les chaleurs arrivent, c’est à considérer.
– Et nous sommes sûrs que personne ne viendra nous déranger ici.
– Très juste. J’ajoute : et pas de loyer à payer, pas de propriétaire grincheux, pas de voisins gênants. Alors c’est dit… qui va chercher les casseroles ?
– Moi, si vous voulez, dit Carcagne.
Carcagne était toujours complaisant. Mais il n’était pas très malin. Il ajouta aussitôt :
– Au fait, des casseroles, c’est très bien, mais… nous n’avons pas de beurre… pas même un morceau de lard… pas de pain.
Escargasse et Gringaille se mirent à rire.
– Voilà du beurre, dit gravement Gringaille en désignant un tas d’œufs.
– Et voilà du pain, fit non moins gravement Escargasse, en désignant un autre tas d’œufs.
– Et voici le vin ! reprit Gringaille en saisissant une poule par les pattes et en l’agitant sous le nez de Carcagne qui ouvrait des yeux tout ronds.
– Je… ne comprends pas… finit-il par avouer.
– Ce n’est pas nécessaire… File !… Quand tu reviendras nous aurons les éléments d’un bon repas.
Carcagne ne comprenait pas. Mais il avait confiance en celui qu’il considérait comme son futur beau-frère. Il obéit et fila, comme on le lui ordonnait élégamment.
Lorsque Carcagne fut parti, Escargasse et Gringaille prirent chacun une certaine quantité d’œufs et une des trois poules qu’ils avaient si prestement happées et étranglées. A leur tour, ils sortirent.
Une demi-heure plus tard, ils étaient de retour. Ils n’avaient plus ni les œufs, ni la poule. Mais ils rapportaient premièrement : une motte de beurre ; deuxièmement : un beau morceau de lard ; troisièmement : une petite cruche contenant cinq pintes de vin ; quatrièmement : une demi-douzaine de chapelets de pain frais. On voit qu’ils avaient réussi à échanger avantageusement leur marchandise.
En attendant Carcagne, qui avait un bon bout de chemin à faire, ils se mirent à inspecter leur domaine.
Ce local devait servir à la fois d’atelier et de débarras. Il contenait une foule d’objets hétéroclites et divers outils. Il y avait des poutres, des planches, du bois, de la paille, des copeaux, une
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