Le Fils de Pardaillan
hélas ! j’ai aimé une jeune fille, belle, pure, innocente, adorable, en tous points semblable à la jeune fille que ce jeune homme adore. Et je me souviens comme j’ai dû la défendre contre ces bêtes féroces titrées, maréchaux, ducs, princes et rois… Moi aussi, j’ai été couvert d’ignominie, pourchassé, traqué comme une bête malfaisante… Et si je ne suis pas mort cent fois déjà, c’est que, Dieu merci, j’avais, j’ai encore des griffes et des crocs de force à tenir tête à la meute enragée. Et pour défendre ma carcasse de pauvre hère hors la loi, j’ai dû en découdre plus d’un, et la meute était composée de princes, de ducs, de rois, de grands inquisiteurs, de papes… voire même de papesse !… et c’est, paraît-il, l’aberration, l’abomination, la désolation, la damnation, la fin des fins de tout ce qui est respectable et sacré !… »
Jehan le Brave de son côté se disait :
« Le grand prévôt a été avisé que je tuerais le roi, ce soir, à onze heures !… Et c’est moi qu’on a désigné, nommé par mon nom !… Qui pouvait savoir ?… Quand je me suis posté, sur le perron, j’ignorais à qui j’aurais affaire… Celui qui m’a dénoncé le savait, lui !… J’ai donc dans l’ombre un ennemi acharné à ma perte ?… Qui ?… Qui ?… Cherchons !… Nul au monde ne savait que je viendrais veiller ici, résolu à tuer quiconque essayerait d’entrer dans le logis par force ou par ruse… Nul, hormis la signora Léonora Galigaï !… Or, c’est la Galigaï qui m’a averti qu’un larron chercherait à s’introduire ce soir chez celle que j’aime… La Galigaï !… Elle savait donc, elle, que ce larron c’était le roi ?… Et c’est elle qui aurait fait avertir le grand prévôt !… Pourquoi ?… Le grand prévôt serait arrivé trop tard pour sauver le roi… oui, mais tudiable : il ne serait pas arrivé trop tard pour m’arrêter, moi !… Oh ! je devine !… J’entrevois un abîme d’infamies ! Ces machinations ténébreuses sont-elles possibles ?… Mais non, j’ai la fièvre, je suis fou !… Et pourtant !… Oh ! je saurai !… et alors, malheur à toi, Léonora ! malheur à toi, Concini ! si je ne me suis pas trompé ! »
Pendant que Pardaillan et Jehan le Brave songeaient de la sorte, ce qui, d’ailleurs, ne les empêchait pas d’avoir l’œil au guet, le grand prévôt, Praslin et La Varenne, après s’être expliqués, tenaient une sorte de conseil.
– Que comptez-vous faire ? demanda le capitaine, au fond enchanté d’être déchargé d’une opération scabreuse.
– Je vais arrêter ces deux hommes, dit le grand prévôt sans hésiter.
– A votre aise, fit Praslin. C’est une opération de police qui rentre dans vos attributions. Je n’ai donc pas à m’en mêler. Cependant, comme il paraît avéré que Sa Majesté est dans cette maison, comme il faudra bien qu’elle sorte tôt ou tard, enfin comme cette aventure ne me paraît pas très claire, je ne me retire pas. Je me mets à l’écart et j’attends le roi pour l’escorter ou le défendre s’il y a lieu… Ceci rentre dans mes attributions à moi.
Ayant dit, le capitaine rangea sa troupe, bien décidé à demeurer spectateur neutre de ce qui allait se passer.
Neuvy mit pied à terre aussitôt. Il s’avança jusqu’au bas du perron et, comme si Jehan le Brave n’eût pas existé pour lui, s’adressant à Pardaillan, qu’il salua très courtoisement, il dit, très poliment :
– Monsieur de Pardaillan, je me vois forcé, à mon très grand regret, de vous prier de me rendre votre épée… Ce n’est là, vous le comprenez bien, qu’une simple mesure de précaution toute provisoire.
– Monsieur de Neuvy, dit Pardaillan aussi poliment, j’ai le très grand regret de ne pouvoir accéder à votre demande.
– Vous refusez d’obéir, Monsieur ? fit Neuvy, stupéfait.
– Vous m’en voyez navré, désespéré !…, Mais vous comprenez, simple mesure de précaution.
Le grand prévôt s’était efforcé de ménager un personnage qui passait pour être en grande estime auprès du roi. Malgré que le ton narquois de ses réponses commençât de lui échauffer les oreilles, il eut la force de se contenir. Il fit une dernière tentative, et sur un ton plus froid :
– Oui ou non, êtes-vous fidèle et obéissant sujet de Sa Majesté ? fit-il.
– Cela dépend des moments, dit Pardaillan de son air le
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