Le Fils de Pardaillan
dépité.
– Et maintenant, demanda Pardaillan en le fixant de son œil clair, allez-vous vous obstiner à chercher de nouveaux gîtes précaires, aussitôt éventés ?
– Non, monsieur, puisque j’y suis venu, bien malgré moi, autant vaut y rester.
– C’est ce que vous avez de mieux à faire, dit froidement Pardaillan.
Là-dessus, le chevalier le quitta, ayant, dit-il, une affaire urgente qui allait le tenir hors de chez lui toute la journée et probablement le lendemain aussi.
Ce qu’il ne disait pas, c’est qu’il se mettait à la recherche de frère Parfait Goulard, sur lequel il comptait pour arriver jusqu’à Acquaviva.
Jehan le Brave passa cette journée seul, assez tristement. Le soir venu, il se hâtait vers la porte Montmartre par des voies détournées, les plus rapides, car il se trouvait dans les environs de la place de Grève. Il venait de dépasser Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Il lui sembla entendre au loin, devant lui, un cliquetis d’armes, des trépignements, des grognements, des jurons, des froissements de fer. Tous les signes d’une lutte violente auxquels une oreille exercée comme la sienne ne pouvait se méprendre, bien que tout cela fût encore confus et indistinct.
– Il se hâta dans la direction d’où venait le bruit. A ce moment, une voix de femme fit entendre un appel dans la nuit :
– Au meurtre ! A l’aide !…
Chose étrange, il lui sembla que la voix, forte et grave, ne trahissait ni crainte ni émotion. Il lui sembla en outre que cette voix ne lui était pas inconnue.
Cependant, dès le premier appel il se mit à courir avec la souplesse et l’agilité de l’homme rompu à tous les exercices violents qu’il était. Il n’eut pas une seconde d’hésitation ou de réflexion. Une voix appelait à l’aide et il accourait. C’était très simple.
Une ruelle étroite se trouvait devant lui. Il s’y rua en tempête.
Devant lui, une masse confuse et grouillante. Ils étaient bien sept ou huit malandrins qui s’escrimaient l’épée haute contre un homme seul. Un brave certainement, car il tenait tête résolument et, sans prononcer une parole, de la dague et de la rapière, il se défendait avec vigueur et énergie.
Derrière lui, se tenait une ombre indistincte, femme ou religieux qui, immobile et muette, contemplait cette lutte inégale. A côté, une autre ombre, plus petite. C’était celle-là qui, d’une voix de femme, lançait à intervalles espacés cet appel extraordinairement calme, en semblable occurrence.
Si bien qu’on eût pu assez justement se demander si la personne qui appelait de cette étrange manière tenait réellement à ce qu’on accourût à son secours.
Ceci se passait à quelques pas d’un cul-de-sac. On eût dit que les efforts de l’inconnu qui tenait seul tête aux malandrins tendaient à se rapprocher de ce cul-de-sac. Peut-être espérait-il que les deux compagnons pour lesquels il se dévouait et qu’il défendait si vigoureusement pourraient se faufiler dans le cul-de-sac, où ils étaient assurés de trouver un abri, sans doute.
Jehan embrassa tous les détails de cette scène d’un coup d’œil flamboyant. Et l’impression qu’il en éprouva était faite d’étonnement et de vague inquiétude. L’idée qu’il se trouvait en présence d’un guet-apens habilement organisé, dans lequel il allait donner tête baissée, passa comme un éclair dans son esprit.
Mais, à cet instant précis, la femme lança un nouvel appel et il oublia tout. De sa voix claironnante, il cria :
– Tenez bon ! On vient à vous !…
En même temps, il mettait flamberge au vent. Mais, par une manœuvre qui lui était familière, il saisit la rapière par la lame. Il tomba à l’improviste sur le dos des assaillants, frappant à coups de pommeau, dans un moulinet vertigineux, et se fraya un passage dans le tas, en disant d’une voix mordante :
– Cela déblaye un peu !…
En effet, trois hommes étaient tombés. Devant cette attaque foudroyante autant qu’imprévue, les autres eurent une seconde d’effarement. L’inconnu en profita pour se fendre à fond. Un quatrième truand, l’épaule traversée, alla s’étaler dans le ruisseau qui coulait au milieu de la rue.
Pendant ce temps, Jehan s’était placé à côté de l’inconnu. Il reprit son épée par la poignée et chargea avec son impétuosité accoutumée.
La vigueur et la décision de ce nouvel adversaire donnèrent-elles à réfléchir
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