Le Fils de Pardaillan
désarmer devant ceux qu’il avait mission de protéger de son épée réputée invincible. Saêtta n’eut peur que de cela. Et il s’écarta comme on le lui ordonnait.
Jehan avança sur Léonora Galigaï et Claude Acquaviva. (On a deviné que c’étaient eux.) Et ils reculèrent jusqu’à ce que le mur d’une maison les arrêtât.
– Moi, madame, continua Jehan, je vous ai reconnue tout de suite, ainsi que monsieur. Voulez-vous que je dise votre nom tout haut ? Voulez-vous que je vous dise le vôtre ? monsieur, mon révérend ou monseigneur.
Si maîtres d’eux qu’ils fussent, Acquaviva et Léonora ne purent retenir un geste de terreur. Et Jehan se mit à rire encore.
– Vous voyez bien qu’il est inutile de me cacher votre visage, reprit-il.
D’un même mouvement, le moine et la dame d’atours firent tomber les capuchons. Ils avaient retrouvé tous les deux ce calme déconcertant qui faisait leur force. Acquaviva, maintenant, étudiait passionnément de son œil scrutateur le visage étincelant de loyauté du jeune homme, et à mesure qu’il poursuivait cet examen, un mince sourire, à peine visible, se dessinait sur ses lèvres. Et dans l’ombre, il pressa le bras de sa compagne pour lui faire comprendre qu’elle eût à le laisser discuter seul.
Cependant Jehan reprenait d’une voix calmée, un peu railleuse :
– Rassurez-vous, puisque le hasard veut que je vous aie sauvé la vie, je ne déferai pas volontairement ce qu’il a fait. Je ne vous dénoncerai pas… Je ne suis pas pourvoyeur de bourreau, moi !
Et s’animant peu à peu, la voix grondante :
– Et cependant !… Vous, madame, vous avez tenté de faire de moi un régicide. Et parce que vous n’y avez pas réussi, vous et votre époux avez essayé de me faire assassiner je ne sais combien de fois. Si je suis encore vivant, ce n’est vraiment pas de votre faute. Vous, digne révérend, vous avez voulu me faire arquebuser. Vous n’avez pas réussi. Vous avez tenté de m’empoisonner. Vous n’avez pas réussi. Vous avez fait crouler le plafond de ma mansarde dans l’espoir qu’il m’ensevelirait sous ses décombres. Vous avez tenté de me faire écraser par un bloc de pierre. Enfin, vous avez fait mettre le feu à la masure où je m’étais réfugié… Vous n’avez pas réussi !… Est-ce vrai ?…
– C’est exact, avoua froidement Acquaviva sans hésiter.
– Pour tout le mal que vous avez voulu me faire, ne serais-je pas en droit de vous écraser tous les deux, puisque, aussi bien, je vous tiens à ma merci ?
– Oui, déclara nettement Acquaviva.
Et il ajouta aussitôt avec cette extraordinaire douceur qu’il employait quelquefois :
– Mais vous ne le ferez pas.
– Pourquoi ? gronda Jehan, hérissé. Qui pourrait m’en empêcher ?
– Vous-même ! répondit Acquaviva.
Et comme le fils de Pardaillan demeurait interdit, il expliqua :
– Vous ne frapperez pas cette femme… parce qu’elle est femme, c’est-à-dire faible et sans défense. Vous ne me frapperez pas, moi, parce que je suis un vieillard débile, déjà courbé sur la tombe. Un homme comme vous, monsieur, met son point d’honneur à défendre des êtres faibles comme nous. Il est tout à fait incapable de les maltraiter. A mon tour, monsieur, est-ce vrai ? Vous ai-je bien jugé ?
– Ouais ! ragea Jehan, furieux de se voir si bien pénétré. Vous en parlez à votre aise, monsieur !… Ventre-veau ! madame est riche et puissante !… Vous, chef suprême du plus redoutable des ordres religieux, vous disposez d’un pouvoir formidable. On dit que vous faites trembler le roi de France, et ce n’est pas peu dire !… Auprès de vous, que suis-je, moi, pauvre hère sans sou ni maille, sans nom et sans appui… autre que mon bras ?
– Ce que vous dites est vrai, déclara Acquaviva. Vous n’avez que votre bras… Mais votre bras est fort !… Et moi, en ce moment, seul, sans armes, sans forces, je suis à votre merci et je ne pèserais pas lourd entre vos mains. Et vous le savez bien, et vous ne verrez que cela. C’est pourquoi vous ne me frapperez pas… Pas plus que vous ne frapperez la femme qui nous écoute sans trembler. Car, elle aussi, vous a jugé… Pas plus que vous n’avez frappé l’homme qui a essayé de nous protéger… parce que vous étiez sûr de le tuer !
– Eh bien, éclata Jehan, c’est vrai !
Et se redressant de toute sa hauteur, avec un geste de souveraine
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