Le Fils de Pardaillan
doigts. Il ne le sentait pas. Les flammes, à l’étage au-dessous, venaient lécher les semelles de ses bottes, doucereuses, câlines, enveloppantes, comme si elles avaient voulu l’aguicher, lui faire croire qu’elles ne lui voulaient pas de mal. Il n’y prit pas garde.
Il imprima à son corps un mouvement de balancier, calculant son élan posément, méthodiquement. Brusquement il fit : « Hop ! » et lâcha prise.
Il tomba à califourchon sur le mur. Il demeura une seconde un peu étourdi. Il se redressa, et avec un rire silencieux :
– Allons ! je crois que c’est encore un coup manqué !… M. Acquaviva n’a vraiment pas de chance.
Il se mit debout sur la crête du mur et marcha dans la direction du faubourg Saint-Denis. Quand il se jugea suffisamment loin de la sinistre masure, qui maintenant se dressait derrière lui, pareille à une gigantesque gerbe de feu, il se laissa tomber hors du clos et se lança dans la campagne.
Une demi-heure plus tard, il était dans la grotte, sous le gibet de Montmartre. Au lieu de se montrer heureux d’avoir échappé encore une fois à la mort, miraculeusement, il paraissait être dans un état de fureur indescriptible. A la lueur rougeâtre de la torche qu’il avait allumée, il allait et venait comme un fauve en cage, en mâchonnant d’incompréhensibles paroles. Il finit par se jeter sur la paille en bougonnant rageusement :
– Eh bien oui, M. de Pardaillan avait raison. M’y voici venu malgré moi !… Mais je consens à être livré pieds et poings liés à Acquaviva si je mets seulement les pieds sur ce maudit escalier !
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Chapitre 30
L e lendemain matin, lundi, Jehan le Brave quitta sa retraite à la pointe du jour. Rien ne le pressait cependant. Mais dans la grotte, il se sentait trop près de l’escalier du gibet. Cet escalier, sous lequel dormaient des millions, le fascinait et l’attirait invinciblement. Pour se soustraire à la tentation, il s’en éloignait au plus vite.
Avant de sortir du souterrain, il eut soin de s’assurer que personne ne se trouvait dans la carrière, et il ne prit plus aucune précaution. Il s’était dit, non sans raison :
« A quoi bon ! Ce n’est pas là un espionnage ordinaire. J’essayerais vainement de m’y soustraire. »
Il rentra donc en ville en flânant et sans chercher à se cacher. Il se dirigeait vers la rue Saint-Denis. Chez Pardaillan, naturellement. En route, il réfléchit :
– Diable ! Il est encore de bien bonne heure ! M. le chevalier aurait cent mille fois raison de m’envoyer à tous les diables pour le venir tirer du lit si tôt, sans raison plausible. Il ne le fera pas, parce qu’il est la bonté même. Raison de plus pour que je ne me montre pas importun.
En conséquence, pour tuer le temps, en attendant une heure raisonnable, il s’en fut au hasard, en badaud. Il se trouva, sans y prendre garde, dans la rue de la Plâtrière, en face de l’hôtel d’Epernon.
Il ne serait pas venu là exprès, par inutile bravade, mais puisque le hasard l’y avait amené, il ne crut pas devoir changer de direction, ni presser le pas pour cela. Il passa donc tranquillement, un sourire malicieux aux lèvres.
Précisément, sur le seuil se tenaient trois coquins à faces patibulaires, qui dardèrent sur lui des yeux de braise. Mais ils ne bougèrent pas. Il est probable que d’Epernon s’était concerté avec Concini. Il s’abstenait momentanément de toute violence envers Jehan le Brave.
Rue Saint-Honoré, il rencontra Longval, Eynaus, Saint-Julien et Roquetaille. Cette fois, il se tint prêt à la bataille. Stupeur : les quatre passèrent sans lui chercher noise. Mieux : Roquetaille lui tira un grand coup de chapeau. Il en fut si étonné qu’il faillit oublier de rendre la politesse si inattendue. En s’éloignant, il se disait :
– Décidément, je crois que M. de Pardaillan se trompe. Concini est un maître couard, la menace du roi à mon sujet l’a terrifié.
Lorsqu’il arriva à l’hôtellerie du
Grand-Passe-Partout,
il trouva Pardaillan qui se disposait à sortir. Il lui conta la tentative de la veille à laquelle il avait échappé comme aux précédentes. Chose curieuse, à laquelle il ne prit pas garde, de ce récit, Pardaillan ne parut avoir retenu qu’une chose :
– Ainsi, dit-il, les événements ont fini par vous amener là où vous ne vouliez pas aller : sous le gibet !
– Il a bien fallu, répondit Jehan d’un air
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