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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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le lui fait sentir. C’est un être fielleux, étrange, qui a refusé tous les partis. Combattant rude et courageux, nul ne le conteste… mais quant à fonder une famille…
    — Voilà des portraits bien noirs !
    — Moins noirs cependant que les agissements. Tiens, récemment encore, près de la Baulche, une demi-douzaine de leurs gardes ont assailli…
    — Nous verrons tout cela s’il y a lieu, coupa le missus. Mais pourquoi tant de haines ?
    Frébald marqua un temps d’arrêt.
    — Le Ciel a béni ma famille et multiplié ma descendance, reprit-il avec fierté. J’en remercie chaque jour le Très-Haut. Isembard ne peut assurément en faire autant. Alard n’a eu de Helma qu’un fils, Isembard. Il est vrai qu’Alard est mort trop jeune au combat. De Robert je t’ai déjà parlé. Hilderude, femme d’Isembard, n’a engendré que deux enfants : Clotilde – la pauvre fille – et ce Badfred, lequel n’est toujours pas marié. A belle et bonne épousée, il préfère les filles de taverne… ou les femmes de colons… Voilà donc ce que sont, en ce comté, les Gérold. A regarder ma famille, la jalousie leur ronge le cœur. Ce n’est pas de multiplier leurs gardes qui leur donnera des fils !… Ce qui nous ramène aux abbayes, à leur soif de bonniers.
    — Comment cela ?
    — Mon cousin, d’un côté, un domaine qui arrive à peine à subvenir aux besoins d’une famille abondante, à ses colons, à ses esclaves, à ses domestiques, le nôtre, d’un autre côté, sur des terres vastes, plus ou moins soigneusement cultivées d’ailleurs, une famille exsangue, la leur. Oh ! je ne souhaite pas qu’à nouveau on dispose de biens, quels qu’ils soient, en faveur de monastères qui en ont déjà bien assez ; tout précédent de ce genre est détestable. Mais enfin, si cela devait advenir – ce qu’à Dieu ne plaise –, qui, en bonne justice, devrait être mis à contribution ? Qui, sinon les Gérold, qui le savent bien ? A leur jalousie s’ajoute donc cette crainte qui les tourmente et accroît leurs rancœurs et leurs haines.
    — N’oublie pas que je suis ici comme missus dominicus de l’empereur Charles et rien d’autre ! souligna d’un ton sévère le comte Childebrand que l’appellation « mon cousin » avait agacé. J’ai entendu, en tant que tel, ce que tu as estimé utile de me confier. Bien ! Venons-en à ce qui m’a conduit ici : l’empereur a décidé d’en finir une bonne fois avec la rébellion des Avars ( 6 ). Les contingents se rendant au Champ de Mai ( 7 ) doivent être particulièrement fournis et les combattants bien équipés. Charles m’a ordonné : « Cette année, pour l’ost, un homme sur deux. » En fonction de cet ordre, quels sont donc ceux de ta famille et ceux de tes alliés sur lesquels je puis compter, avec quelles armes et quels approvisionnements ?
    La délibération sur cette levée de l’ost réunit autour du représentant de l’empereur, assisté de Doremus, outre Frébald, ses deux fils présents, le chef de la garde domaniale, l’intendant Malier et un notaire. La mobilisation des guerriers ne posa pas de problèmes, mais la discussion porta sur les vivres et les provisions ; elle offrit aux assistants de Frébald l’occasion de réflexions amères quant aux ressources du domaine.
    Après qu’un laborieux débat eut épuisé ce sujet, le comte Childebrand fut invité à gagner la salle de réception pour y présider un banquet offert en son honneur. Une trentaine de convives l’y attendaient : la famille du maître, ses collaborateurs directs, des hommes d’armes qu’il avait voulu récompenser, deux notaires et un clerc qui célébrait les offices dans la chapelle de la villa.
    Frébald menait sa maison en patriarche rigoureux. Les invités avaient été répartis par tablées selon une hiérarchie stricte. Le choix des mets montra une aisance sans dissipation et celui des vins un raffinement sans ostentation : le missus devait constater qu’ici on ne gaspillait pas les deniers de l’empire. Le discours de bienvenue fut sobre à souhait ; il laissa la vedette à la réponse du comte Childebrand, qui ne manqua pas de louer tout et tous, qualifiant l’Auxerrois, selon sa formule passe-partout, de « perle des royaumes ».
    Sauf à la table d’honneur où le missus, Frébald, Adelinde et leurs deux fils présents conversaient d’une voix forte de manière que chacun pût recueillir le miel de leurs propos,

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