Le lever du soleil
que sa mère, Marie de Médicis, l'avait forcé à contempler dans l'ancienne salle de bal de François Ier au Louvre, il en garda une curieuse manie, celle de contrefaire en public les grimaces des agonisants ; demandant, au temps des échafauds dont abusa le Cardinal, quelle tête avait fait tel ou tel condamné titré au moment o˘ s'élevait et s'abattait la hache du bourreau ; et si celui-ci s'y était repris à plusieurs fois (vingt coups furent nécessaires pour décoller le comte de Chalais).
Louis imitait même la grimace d'agonie de personnes qui lui avaient été chères. Après tout, ne lui avait-on pas infligé la grimace de douleur de son père assassiné, qui s'en allait rejoindre Mme Angélique Paulet qu'il n'avait pas eu loisir de trousser ce jour-là ?
Plus que la justice Louis aimait la vengeance. Comme, au contraire de son père, de l'amour il ne savait vivre que la jalousie.
Il se trouvait réduit, adulte, à craindre sa femme, qu'il n'aimait pas mais qu'il tenait en un filet d'espionnes et d'espions, et dont il ne partageait plus la couche depuis vingt-trois ans, embarrassé
de ce qu'il craignait être sa propre impuissance. Il craignait aussi son frère, ne savait trop que faire de sa mère exilée, et se montrait plus embarrassé encore du cardinal de Richelieu dont il sentait le joug, qui n'avait rien de paternel. Et pourtant l'enfant étiré dans le temps qu'était encore Louis, roi de France, décida de trouver en son ministre un nouveau père. Il camoufla ce désir de parenté
en l'affichant et donna du " mon cousin " à l'Eminence.
Le Cardinal était plus cruel encore que son royal maître et valet, et fit couler le sang sur le billot. Le sang des Grands, des princes, des maréchaux. Bientôt ce serait le sang des amis, des favoris, dont Cinq-Mars, grand écuyer de France, Monsieur le Grand. Mais on n'en était pas là. quoique le Cardinal déjà y pens‚t : Luynes mort, le Roi avait épuisé le catalogue des favoris, et Richelieu avait repéré ce jeune marquis de quinze ans, fils de la Maréchale d'Effiat. Il en ferait sa créature, croyait-il. Comme des autres, ou alors il lui en cuirait. Comme aux autres. Pour l'instant, il l'avait fait entrer dans les gardes, là o˘ régnait l'irréprochable Guitaut.
Trop irréprochable au gré du ministre, mais nécessaire auprès du Roi, car Guitaut, en dehors des factions, protégeait Sa Majesté. sans Laquelle Richelieu ne serait rien. Guitaut permettait que l'esprit du Cardinal f˚t libre, libre de décider ; Cinq-Mars, lui, serait utile par sa joliesse pour séduire, espionner mais, hélas, comploter à en perdre la tête.
Du temps de Louis le Juste, il n'y eut pas dans le royaume d'année sans factions. Il n'y eut pas de paix. La guerre s'éternisait contre les Habsbourg de Vienne et désormais rougeoyait contre les Habsbourg d'Espagne. Or la Reine était deux fois Habsbourg, des deux côtés qui prenaient le royaume en tenaille, d'Outre-Pyré-nées et d'Outre-Rhin, que la mélancolie native du Roi traduisait en deux fois ennemie. Pourtant la bouche du Roi affichait elle aussi la lippe des Habsbourg, venue de son ancêtre Marguerite d'Autriche. Mais le Cardinal aidait à l'addition chez la Reine, à
la soustraction chez le Roi.
Les soupçons, la crainte, la désolation baignaient la famille royale et la Cour. Ils rôdaient partout dans Paris. Ils ajoutaient à
la boue de ses rues et à l'aigreur des chansons. Et aux puanteurs du Louvre.
Contre la mélancolie, les déb‚cles intestinales, les querelles intestines, les trahisons, les embarras de Paris et l'ennui, Louis le Juste cuisait des confitures, fabriquait des arquebuses et des canons de cuir, lardait des longes de veau, cousait des tentures, jouait de la guitare et chassait. Sa guitare sonnait des chaconnes tristes ; le Roi composa, on juge sa gaieté, un Office des Ténèbres et un De Profundis. La chasse prenait la plus grande partie de son temps. Il avait fait Luynes connétable de France, gloire indue puisque ce faux nobliau surtitré n'avait jamais mené bataille, pour son habileté à dresser les pies-grièches.
Louis aimait les oiseaux. Dès ses dix ans, il avait eu son " cabinet des volatiles ", et six cents personnes soignaient dans sa fau-connerie du ch‚teau de Saint-Germain cent quarante rapaces : gerfauts, laniers, crécerelles, émerillons. Luynes n'avait pas commandé de troupes mais un régiment de charognards.
Régiment n'est pas trop fort. Le
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