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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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Connétable des pies menait quatre lieutenants de vénerie, louveterie et autres, quatre sous-lieutenants, trente-neuf gentilshommes, cinq valets de chiens, quatre fourriers, quatre valets ordinaires, deux pages, deux maréchaux-ferrants, un chirurgien (qui haÔssait Héroard et que ce dernier méprisait), plusieurs dizaines de lieutenants et valets de meute, des gardes forestiers, des piqueux, des gardes à pied, des gardes à cheval, autant de mercenaires engagés au service du seul
    " plaisir du Roi ".

    Luynes était mort comme il avait vécu, cocu. Sa femme, la belle Marie de Rohan, avait épousé son amant, le duc de Chevreuse, et cette " Chevrette ", amie de la Reine qui la traitait en súur, était, elle, une ennemie du Roi. Et toujours une femme infidèle. Mais ravissante ; M. de Guitaut, capitaine aux gardes, fouetté par le vent sur la route de Paris, sourit sous son chapeau. Un souvenir, sans doute.
    Louis détestait cette engeance et lui préférait la chasse aux oiseaux. Les valets lançaient ses gerfauts contre des pigeons auxquels ils avaient crevé les yeux avant de les libérer. Ils filaient droit vers le ciel et les faucons de Sa Majesté les rattrapaient et les lardaient de tant de coups de becs qu'ils en retombaient déchiquetés. Cette forme de volerie donnait beaucoup de plaisir à Louis le Juste. Mais le plaisir l'inondait quand, en juin, les pies-grièches si chères à son cher Luynes s'en revenaient d'Afrique.
    Il en frissonnait alors. Les pies-grièches à la vêture modeste de bon chasseur, cape brune et ventre gris, attendent perchées sur une cime de roncier. Passent les libellules, toutes de saphir, de turquoise et d'émeraude au soleil, dansant autour des m˚riers comme autant d'élégantes autour de la Reine.
    Bien qu'à peine plus grosses qu'un moineau, les pies-grièches se lancent dans la chasse au vol comme leurs grands cousins les aigles et les faucons. Leurs becs crochus, acérés, puissants, tranchants embrochent les courtisanes légères. Le Roi, immobile, jubile.
    Alors, elles fondent du ciel au sol, vers une grenouille, un lézard, un mulot, une musaraigne imprudents, sortant des abris pour go˚ter le soleil. Ces minuscules rapaces empalent leurs proies sur les lardoires offertes par la nature, sur les épines des ronciers et des acacias. Là, elles écorchent leurs victimes, les déchiquettent pour en offrir les morceaux sanglants à leurs petits.
    Le Roi pouvait rester des heures à les observer. Et Luynes, qui aidait la nature cruelle du Roi à se repaître de ce spectacle o˘ Sa Majesté lisait maints symboles, aidait la Nature, la vraie, qui n'est cruelle, ni affectueuse, mais divinement indifférente, en faisant tailler en pointes aiguÎs badines et baguettes, pour fournir des haies de lardoires mieux placées pour le spectacle du Roi vêtu lui aussi de cape brune et de veste grise. Voilà comment on fait sa cour de favori, quand on renifle chez le maître le go˚t du sang.
    Sans oublier de rappeler que pie-grièche désigne aussi, dans le familier de la langue, une femme acari‚tre. Louis souriait devant le massacre.
    A l'automne, ou aux grosses chaleurs d'ao˚t, le Roi et ses meutes forçaient des cerfs, des biches dans les bois entourant une butte venteuse à l'ouest de Paris, o˘ un moulin à vent, une tour ruinée étaient les seuls fanions d'un domaine de cent dix-sept arpents, nommé Versailles, que le Roi avait confisqué autant qu'acheté à la famille de Gondi, famille distinguée venue d'Italie sous Henri IL, celle de l'archevêque de Paris, qui n'avait que faire de ces bois et ces marécages, avant de le porter par un nouvel achat à cent soixante-sept arpents pour y chasser plus à l'aise dans un désert personnel et vaste comme l'oubli.
    Louis XILI, le mélancolique, ne souffrait pas de nostalgie. Il haÔssait son passé, son enfance et sa jeunesse, rêvait de futur qu'il ne réussissait pas à imaginer, mais qu'il e˚t aimé s'acharner à
    magnifier. Parfois il faisait montre d'audace, laissait voir son courage guerrier, ou s'enfermait en sa tristesse face à ses desseins contrariés.
    Sur la butte trop venteuse il fit construire un pavillon pour ne plus dormir sur la paille du vieux moulin ou dans l'auberge sale, quand la chasse s'éternisait. Le pavillon était de briques rouges, de pierres blanches et d'ardoises bleu nuit. Le rouge et le bleu de Paris honni, mais aussi le rouge et le bleu des gardes de Sa Majesté, rehaussés par le blanc du Roi. On

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