Le Lis et le Lion
n’était-elle pas tout entière de souche française ? La langue
française n’était-elle pas commune aux deux cours ? De nombreux seigneurs
français n’avaient-ils pas, par jeu d’héritage, des biens en Angleterre, comme
les barons anglais avaient des établissements en France ?
— Eh bien, soit, remettez-nous
l’Angleterre, nous ne la refusons pas, ironisa Philippe de Valois.
Le connétable Gaucher écoutait les
explications que Miles de Noyers lui soufflait à l’oreille, et soudain son
teint fonça. Comment ? Le roi d’Angleterre réclamait la régence ? Et
la couronne à suivre ? Alors, tant de campagnes qu’il avait conduites, lui
Gaucher, sous le dur soleil de Gascogne, tant de chevauchées dans les boues du
Nord contre ces mauvais drapiers flamands toujours soutenus par l’Angleterre,
tant de bons chevaliers tués, tant de tailles et subsides dépensés, n’auraient
donc servi qu’à cela ? On se moquait.
Sans se lever, mais d’une profonde
voix de vieillard tout enrouée par la colère, il s’écria :
— Jamais France ne sera à
l’Anglois, et cela n’est point question de mâle ou de femelle, ni de savoir si
la couronne se transmet par le ventre ! Mais la France ne sera pas à
l’Anglois parce que les barons ne le supporteraient pas. Allons Bretagne !
À moi Blois ! Allons Nevers ! Allons Bourgogne ! Vous acceptez
d’entendre cela ? Nous avons un roi à porter en terre, le sixième de ceux
que j’aurai vus passer de mon vivant, et qui tous ont dû lever leur ost contre
l’Angleterre ou ceux qu’elle appuie. Qui doit commander à la France doit être
du sang de France. Et qu’on en finisse d’écouter ces sornettes qui feraient
rire mon cheval.
Il avait appelé Bretagne, Blois,
Bourgogne, du ton qu’il prenait naguère en bataille, pour rallier les chefs de
bannière.
— Je donne mon conseil, avec le
droit du plus vieux, pour que le comte de Valois, le plus proche du trône, soit
régent, gardien et gouverneur du royaume.
Et il éleva la main pour appuyer son
vote.
— Il a bien dit !
s’empressa d’approuver Robert d’Artois en dressant sa large patte et en
conviant du regard les partisans de Philippe à l’imiter.
Il regrettait presque, à présent,
d’avoir fait écarter le vieux connétable du testament royal.
— Il a bien dit !
répétèrent les ducs de Bourbon et de Bretagne, le comte de Blois, le comte de
Flandre, le comte d’Évreux, les évêques, les grands officiers, le comte de
Hainaut.
Mahaut d’Artois interrogea des yeux
le duc de Bourgogne, vit qu’il allait lever la main et se hâta d’approuver pour
n’être pas la dernière.
Seule la main d’Orleton resta
baissée.
Philippe de Valois, qui se sentait
soudain épuisé, se disait : « C’est chose faite, c’est chose
faite. » Il entendit l’archevêque Guillaume de Trye, son ancien
précepteur, dire :
— Longue vie au régent du
royaume de France, pour le bien du peuple et de la Sainte Église.
Le chancelier Jean de Cherchemont
avait préparé le document qui devait clore le conseil et en entériner la
décision ; il ne restait que le nom à inscrire. Le chancelier traça en
grandes lettres celui du « très puissant, très noble et très redouté
seigneur Philippe, comte de Valois », et puis donna lecture de cet acte
qui non seulement attribuait la régence, mais encore désignait le régent, si
l’enfant à naître était une fille, pour devenir roi de France.
Tous les assistants apposèrent en
bas du document leur signature et leur sceau privé ; tous, sauf le duc de
Guyenne, c’est-à-dire son représentant Monseigneur Adam Orleton qui refusa en disant :
— On ne perd jamais rien à
défendre son droit, même si l’on sait qu’il ne peut pas triompher. L’avenir est
grand, et dans les mains de Dieu.
Philippe de Valois s’était approché
du catafalque et regardait le corps de son cousin, la couronne encadrant le
front cireux, le long sceptre d’or posé le long du manteau, les bottes
scintillantes.
On crut qu’il priait, et ce geste
lui valut le respect.
Robert d’Artois vint auprès de lui
et lui murmura :
— Si ton père te voit, en ce
moment, il doit être bien heureux, le cher homme… Encore deux mois à attendre.
IV
LE ROI TROUVÉ
Les princes de ce temps-là avaient
besoin d’un nain. Les couples de pauvres gens considéraient presque comme une
chance de mettre au monde un avorton de cette sorte ; ils avaient la
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