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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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il
ne pensait qu’à la sentence qu’il allait pouvoir formuler pour se donner l’air
de réfléchir ; mais sa tête était creuse comme une noix de la mauvaise
saison.
    Un roi, un vrai roi, n’oublions pas,
se doit d’être brave, et preux, et fastueux ! En vérité Philippe n’avait
d’aptitude que pour les armes. Pas pour la guerre, mais bien pour les armes,
les joutes, les tournois. Instructeur de jeunes chevaliers, il eût fait
merveille à la cour d’un moindre baron. Souverain, son hôtel ressembla à
quelque château des romans de la Table Ronde, qui étaient beaucoup lus à
l’époque et dont il s’était fort farci l’imagination. Ce ne furent que
tournois, fêtes, festins, chasses, divertissements, puis tournois encore avec
débauche de plumes sur les heaumes, et chevaux plus parés que des femmes.
    Philippe s’occupait très gravement
du royaume, une heure par jour, après une joute d’où il revenait ruisselant ou
un banquet dont il sortait la panse lourde et l’esprit nuageux. Son chancelier,
son trésorier, ses officiers innombrables prenaient les décisions pour lui, ou
bien allaient chercher leurs ordres auprès de Robert d’Artois. Celui-ci, en
vérité, commandait plus que le souverain.
    Nulle difficulté ne se présentait que
Philippe n’en appelât au conseil de Robert, et l’on obéissait de confiance au
comte d’Artois, sachant que tout décret de sa part serait approuvé par le roi.
    De la sorte on alla au sacre, où
l’archevêque Guillaume de Trye devait poser la couronne sur le front de son
ancien élève. Les fêtes, à la fin mai, durèrent cinq jours.
    Il semblait que tout le royaume fût
arrivé à Reims. Et non seulement le royaume, mais encore une partie de l’Europe
avec le superbe et impécunieux roi Jean de Bohême, le comte Guillaume de
Hainaut, le marquis de Namur et le duc de Lorraine. Cinq jours de réjouissances
et de ripailles ; une profusion, une dépense comme les bourgeois rémois
n’en avaient jamais vu. Eux qui subvenaient aux frais des fêtes, et qui avaient
rechigné devant le coût des derniers sacres, cette fois fournissaient le
double, le triple, d’un cœur joyeux. Il y avait cent ans qu’au royaume de
France on n’avait autant bu : on servait à cheval dans les cours et sur
les places.
    La veille du couronnement, le roi
arma chevalier Louis de Crécy, comte de Flandre et de Nevers, avec la plus
grande pompe possible. Il avait été décidé, en effet, que ce serait le comte de
Flandre qui tiendrait le glaive de Charlemagne pendant le sacre, et le
porterait au roi. Et l’on s’étonnait que le connétable eût consenti à se
dessaisir de cette fonction traditionnelle. Encore fallait-il que le comte de
Flandre fût chevalier. Philippe VI pouvait-il montrer avec plus d’éclat
l’amitié dans laquelle il tenait son cousin flamand ?
    Or, le lendemain, pendant la
cérémonie dans la cathédrale, lorsque Louis de Bourbon, grand chambrier de
France, ayant chaussé le roi des bottes fleudelisées, appela le comte de
Flandre pour présenter l’épée, ce dernier ne bougea pas.
    Louis de Bourbon répéta :
    — Monseigneur le comte de
Flandre !
    Louis de Crécy resta immobile,
debout, les bras croisés.
    — Monseigneur le comte de
Flandre, proclama le duc de Bourbon, si vous êtes céans, ou quelque personne
pour vous, venez accomplir votre devoir, et ci vous sommons de paraître à peine
de forfaiture.
    Un grand silence s’était fait sous
les voûtes et un étonnement apeuré se peignait sur les visages des prélats, des
barons, des dignitaires ; mais le roi restait impassible, et Robert
d’Artois reniflait, nez en l’air, comme s’il s’intéressait au jeu du soleil à
travers les vitraux.
    Enfin le comte de Flandre consentit
à avancer, s’arrêta devant le roi, s’inclina et dit :
    — Sire, si l’on avait appelé le
comte de Nevers ou le sire de Crécy, je me fusse approché plus tôt.
    — Mais quoi, Monseigneur,
répondit Philippe VI, n’êtes-vous point comte de Flandre ?
    — Sire, j’en porte le nom, mais
n’en ai point le profit.
    Philippe VI prit alors son
meilleur air royal, poitrine gonflée, regard vague, et son grand nez pointé
vers l’interlocuteur pour prononcer bien calmement :
    — Mon cousin, que me dites-vous
donc ?
    — Sire, reprit le comte, les
gens de Bruges, d’Ypres, de Poperingue et de Cassel m’ont bouté dehors mon
fief, et ne me tiennent plus pour leur comte ni seigneur ;

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