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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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consentement unanime.
    Et pourtant il n’était qu’un roi de
raccroc, un neveu, un cousin de roi comme il y en avait tant, un homme fortuné
parmi son parentage ; pas un roi désigné par Dieu à la naissance, pas un
roi reçu ; un roi « trouvé » le jour qu’on en manquait.
    Ce mot inventé par la rue ne
diminuait en rien la confiance et la joie ; ce n’était qu’une de ces
expressions d’ironie dont les foules aiment à nuancer leurs passions et qui
leur donnent l’illusion de la familiarité avec le pouvoir. Jean le Fol,
lorsqu’il répéta cette parole à Philippe, eut droit à une bourrade dont il
exagéra la rudesse en se frottant les côtes et en poussant des cris
aigus ; il venait tout de même de prononcer le maître mot d’un destin.
    Car Philippe de Valois, comme tout
parvenu, voulut prouver qu’il était bien digne, par valeur naturelle, de la
situation qui lui était échue, et répondre en tout à l’image qu’on peut se
faire d’un roi.
    Parce que le roi exerce
souverainement la justice, il envoya pendre dans les trois semaines le
trésorier du dernier règne, Pierre Rémy, dont on assurait qu’il avait beaucoup
trafiqué du Trésor. Un ministre des Finances au gibet est chose toujours qui
réjouit un peuple ; les Français se félicitèrent ; on avait un roi
juste.
    Le prince est, par devoir et
fonction, défenseur de la foi. Philippe prit un édit qui renforçait les peines
contre les blasphémateurs et accroissait le pouvoir de l’inquisition. Ainsi le
haut et bas clergé, la petite noblesse et les bigotes de paroisse se trouvèrent
rassurés : on avait un roi pieux.
    Un souverain se doit de récompenser
les services rendus. Or combien de services avaient été nécessaires à Philippe
pour assurer son élection ! Mais un roi doit veiller également à ne point
se faire d’ennemis parmi ceux qui se sont montrés, sous ses prédécesseurs, bons
serviteurs des intérêts publics. Aussi, tandis qu’étaient maintenus dans leurs
charges presque tous les anciens dignitaires et officiers royaux, de nouvelles
fonctions furent créées ou bien l’on doubla celles qui existaient afin de
donner place aux soutiens du nouveau règne, et satisfaire à toutes les
recommandations présentées par les grands électeurs. Et comme la maison de
Valois avait déjà train royal, ce train se superposa à celui de l’ancienne
dynastie, et ce fut une grande ruée aux emplois et aux bénéfices. On avait un
roi généreux.
    Un roi se doit encore d’apporter la prospérité
à ses sujets. Philippe VI s’empressa de diminuer et même, dans certains
cas, de supprimer les taxes que Philippe IV et Philippe V avaient
mises sur le négoce, sur les marchés publics et sur les transactions des
étrangers, taxes qui, de l’avis de ceux qui les acquittaient, entravaient les
foires et le commerce.
    Ah ! le bon roi que voilà, qui
faisait cesser les tracasseries des receveurs de Finances ! Les Lombards,
prêteurs habituels de son père et auxquels lui-même devait encore si gros, le
bénissaient. Nul ne songeait que la fiscalité des anciens règnes produisait ses
effets à long terme et que si la France était riche, si l’on y vivait mieux que
nulle part au monde, si l’on y était vêtu de bon drap et souvent de fourrure,
si l’on y voyait des bains et étuves jusque dans les hameaux, on le devait aux
précédents Philippe qui avaient su assurer l’ordre dans le royaume, l’unité des
monnaies, la sécurité du travail.
    Un roi… un roi doit aussi être un
sage, l’homme le plus sage parmi son peuple. Philippe commença de prendre un
ton sentencieux pour énoncer, de cette belle voix qui était la sienne, de
graves principes où l’on reconnaissait un peu la manière de son précepteur,
l’archevêque Guillaume de Trye.
    « Nous qui toujours voulons
raison garder… », disait-il chaque fois qu’il ne savait quel parti
prendre.
    Et quand il avait fait fausse route,
ce qui lui arrivait fréquemment, et se trouvait contraint d’interdire ce qu’il
avait ordonné l’avant-veille, il déclarait avec autant d’assurance :
« Raisonnable chose est de modifier son propos. »
    « En toute chose, mieux vaut
prévenir qu’être prévenu », énonçait encore pompeusement ce roi qui en
vingt-deux ans de règne ne cesserait d’aller de surprise en surprise
malheureuse !
    Jamais monarque ne débita de plus
haut autant de platitudes. On croyait qu’il réfléchissait ; en vérité

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