Le Lis et le Lion
l’honneur, soit
en prêtant argent à usure, soit pour « parole faussée ».
Le mouvement de la reine n’avait pas
échappé à Madame de Beaumont, qu’on vit pâlir. Elle s’approcha du roi son frère
et lui adressa des reproches.
— Ma sœur, lui répondit
Philippe VI avec une expression sévère, remerciez-moi plutôt que de vous
plaindre.
Le soir, pendant les danses, chacun
était au courant de l’incident. La reine avait fait mine de
« recommander » Robert d’Artois. Celui-ci montrait son visage des
très mauvais jours. Pour les caroles, il refusa ostensiblement la main à la
duchesse de Bourgogne, et alla se planter devant la reine Jeanne, laquelle ne
dansait jamais à cause de son infirmité ; il resta là un long instant, le
bras arrondi comme s’il l’invitait, ce qui était méchant affront de revanche.
Les épouses cherchaient des yeux leurs maris ; les violes et les harpes se
faisaient entendre dans un silence angoissé. Il eût suffi du plus léger éclat
pour que le tournoi fût avancé d’une nuit et que la mêlée commençât aussitôt,
dans la salle de bal.
L’entrée du roi d’armes, escorté de
ses hérauts, et qui venait pour une nouvelle proclamation, produisit une utile
diversion.
— « Or, oyez, hauts et
puissants princes, seigneurs, barons, chevaliers et écuyers qui êtes au tournoi
parties ! Je vous fais assavoir de par Messeigneurs les juges diseurs que
chacun de vous soit demain dedans les rangs à l’heure de midi, en armes et prêt
pour tournoyer, car à une heure après midi les juges feront couper les cordes
pour commencer le tournoi, auquel il y aura de riches dons par les dames
donnés. Outre plus, je vous avise que nul d’entre vous ne doit amener dedans
les rangs valets à cheval pour vous servir outre la quantité, à savoir :
quatre valets pour princes, trois pour comtes, deux pour chevaliers et un pour
écuyers, et des valets de pied chacun à son plaisir, comme ainsi en ont ordonné
les juges. Outre plus, s’il plaît à vous tous, vous lèverez la main dextre en
haut vers les saints, et tous ensemble promettrez que nul d’entre vous audit
tournoi ne frappera à son escient d’estoc, ni non plus de la ceinture jusque
plus bas ; et d’autre part, si, par cas d’aventure, le heaume choit de la
tête à aucun d’entre vous, nul autre ne le touchera tant que son heaume ne sera
remis et lacé ; et vous vous soumettrez, si vous en faites autrement, à
perdre armure et destrier, et à être criés bannis du tournoi les autres fois.
Et ainsi vous jurez et promettez par la foi, sur votre honneur. »
Tous les tournoyeurs présents
levèrent la main et crièrent :
— Oui, oui, nous le
jurons !
— Prenez bien garde, demain,
dit le duc de Bourgogne à ses chevaliers, car notre cousin d’Artois pourrait se
montrer mauvais et ne pas respecter toutes les semonces.
Et puis l’on se remit à danser.
VIII
HONNEUR DE PAIR, HONNEUR DE ROI
Chaque tournoyeur se trouvait dans le
pavillon de drap brodé où flottait sa bannière et s’y faisait équiper. D’abord
les chausses de mailles auxquelles on fixait les éperons ; puis les
plaques de fer qui couvraient les jambes et les bras ; ensuite le haubert
de cuir épais par-dessus lequel on revêtait l’armure de corps, sorte de
tonnelet de fer, articulé ou bien d’une seule pièce, selon les préférences.
Venaient ensuite la cervelière de cuir pour protéger des chocs du heaume, et le
heaume lui-même, empanaché ou surmonté d’emblèmes, et qui se laçait au col du
haubert par des lanières de cuir. Par-dessus l’armure, on passait la cotte de
soie, de couleur éclatante, longue, flottante, avec d’immenses manches
festonnées qui pendaient aux épaules, et des armoiries brodées sur la poitrine.
Enfin le chevalier recevait l’épée, au tranchant émoussé, et l’écu, large ou
rondache.
Dehors le destrier attendait,
couvert d’une housse armoriée, mâchant son mors à longues branches, et le
frontal protégé d’une plaque de fer sur laquelle était fixé, comme sur le
heaume du maître, un aigle, un dragon, un lion, une tour ou un bouquet de
plumes. Des valets d’armes tenaient les trois lances épointées dont chaque
tournoyeur disposait, ainsi qu’une masse assez légère pour n’être pas
meurtrière.
Les gens de noblesse se promenaient
entre les pavillons, venaient assister au harnachement des champions,
adressaient aux amis les derniers encouragements.
Le
Weitere Kostenlose Bücher