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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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assommaient
avec entrain quatre seigneurs bourguignons dans un coin des lices. Robert
n’était pas parmi eux, mais certainement avait inspiré quelques-uns de ses
partisans ; la bagarre risquait de tourner au massacre. Le roi
Philippe VI fut obligé de se faire déheaumer et, tête nue pour être
reconnu, il alla, à l’admiration de tous, séparer les acharnés.
    Précédées des hérauts et des
sonneurs, les deux troupes se reformèrent en cortège pour sortir de l’arène. Ce
n’était plus qu’armures faussées, cottes en lambeaux, peintures écaillées,
chevaux boiteux sous des housses déchirées. La rencontre se soldait par un mort
et quelques estropiés à vie. Outre messire Jean de Hainaut, auquel irait le
prix offert par la reine, tous les tournoyeurs recevraient en souvenir un
présent, hanap de vermeil, coupe ou écuelle d’argent.
    Dans leurs pavillons aux portières
relevées, les seigneurs se déharnachaient, montrant des visages bouillis, des
mains écorchées à la jointure des gantelets, des jambes tuméfiées. En même
temps on échangeait des commentaires.
    — Mon heaume s’est faussé au
tout début. C’est cela qui m’a gêné…
    — Si le sire de Courgent ne
s’était pas jeté à votre rescousse, vous auriez vu, l’ami !
    — Le duc Eudes n’a pas su tenir
longtemps devant Monseigneur Robert !
    — Ah ! Brécy s’est bien
comporté, je le reconnais !
    Rires, courroux, halètements de
fatigue ; les tournoyeurs se dirigeaient vers les étuves, installées dans
une grange voisine, et entraient aux baquets préparés, les princes d’abord,
puis les barons, puis les chevaliers, et les écuyers en dernier. Il existait
entre eux cette familiarité, amicale et solide, que créent les compétitions
physiques ; mais on devinait aussi quelques rancunes tenaces.
    Philippe VI et Robert d’Artois
trempaient dans deux cuves jumelles.
    — Beau tournoi, beau tournoi,
disait Philippe. Ah ! mon frère, il faut que je te parle.
    — Sire, mon frère, je suis tout
à t’entendre.
    La démarche qu’il avait à faire
coûtait visiblement à Philippe. Mais pour parler cœur à cœur avec son cousin,
son beau-frère, son ami de jeunesse et de toujours, quel meilleur moment
pouvait-il trouver que celui-ci, où ils venaient de tournoyer ensemble, et où
les cris qui emplissaient la grange, les grandes claques que les chevaliers
s’appliquaient sur les épaules, les clapotis d’eau, la buée qui s’élevait des
cuves, isolaient parfaitement leur entretien ?
    — Robert, ton procès est
mauvais parce que tes lettres sont fausses.
    Robert dressa au-dessus du baquet
ses cheveux rouges, ses joues rouges.
    — Non, mon frère, elles sont
vraies !
    Le roi prit un visage désolé.
    — Robert, je t’en conjure, ne
t’obstine pas en si mauvaise voie. J’ai fait pour toi le plus que j’ai pu, et
contre l’avis de beaucoup, tant ma famille que dans mon Conseil. Je n’ai
accepté de remettre l’Artois à la duchesse de Bourgogne que sous réserve de tes
droits. J’ai imposé pour gouverner Ferry de Picquigny, un homme à toi dévoué.
J’ai offert à la duchesse que l’Artois lui soit racheté pour t’être remis…
    — Il n’était pas besoin de lui
racheter l’Artois, puisqu’il est à moi !
    Devant tant d’obstination butée,
Philippe VI eut un geste d’irritation. Il cria à son chambrier :
    — Trousseau ! Un peu plus
d’eau fraîche, je te prie.
    Puis il poursuivit :
    — Ce sont les communes d’Artois
qui n’ont pas voulu payer le prix pour changer de maître ; qu’y
puis-je ?… L’ordonnance d’ouvrir ton procès attend depuis un mois. Depuis
un mois je refuse de la signer parce que je ne veux pas que mon frère soit confronté
à de basses gens qui vont le souiller d’une boue dont je ne suis pas sûr qu’il
se puisse laver. Chaque homme est faillible ; nul d’entre nous n’a commis
que de louables choses. Tes témoins ont été payés ou menacés ; ton notaire
a parlé ; les faussaires sont écroués, et leurs aveux recueillis d’avoir
écrit tes lettres.
    — Elles sont vraies, répéta
Robert.
    Philippe VI soupira. Que
d’efforts faut-il faire pour sauver un homme malgré lui !
    — Je ne dis pas, Robert, que tu
en sois vraiment coupable. Je ne dis pas, comme on le prétend, que tu aies mis
la main à ces lettres. On te les a apportées, tu les as crues bonnes, tu as été
trompé…
    Robert, dans son baquet, contractait
les

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