Le Lis et le Lion
tandis que l’Empereur, ennemi du pape,
attaquait au nord, et où les deux ducs d’Autriche, le margrave de Brandebourg,
le roi de Pologne, le roi de Hongrie, venaient à la rescousse. Il y avait là de
quoi surprendre un prince si aimé, et qui voulait donner la paix aux
Italiens !
Laissant seulement huit cents
chevaux à son fils Charles pour maîtriser toute la Lombardie, Jean de
Luxembourg, la barbe au vent, avait couru de Parme jusqu’en Bohême où les
Autrichiens pénétraient. Il était tombé dans les bras de Louis de Bavière et, à
force de grands baisers sur les joues, avait dissipé l’absurde malentendu. La
couronne impériale ? Mais il n’y avait songé que pour faire plaisir au
pape !
À présent il arrivait chez Philippe
de Valois pour le prier d’intervenir auprès du roi de Naples, et lui soutirer
également de nouveaux subsides afin de poursuivre son projet de royaume
pacifique.
Philippe VI pouvait-il faire
moins, envers cet hôte chevaleresque, que d’offrir un tournoi en son
honneur ?
Ainsi dans la plaine d’Évreux, sur
les bords de l’Iton, le roi de France et le roi de Bohême, amis fraternels,
allaient se livrer fausse bataille… avec plus de monde sous les armes que n’en
avait le fils de ce même roi de Bohême pour s’opposer à l’Italie entière.
Les lices, c’est-à-dire l’enclos du
tournoi, étaient tracées dans une vaste prairie plate où elles formaient un
rectangle de trois cents pieds sur deux cents, fermé par deux palissades, la
première à claire-voie et faite de poteaux terminés en pointe, la seconde, à
l’intérieur, un peu plus basse et bordée d’une épaisse main courante. Entre les
deux palissades se tenaient, pendant les épreuves, les valets d’armes des
tournoyeurs.
Du côté de l’ombre avaient été bâtis
les échafauds, trois grandes tribunes couvertes de toile et décorées de
bannières : celle du milieu pour les juges, et les deux autres pour les
dames.
Tout autour, dans la plaine, se
pressaient les pavillons des valets et palefreniers ; c’était là qu’on
venait admirer, en se promenant, les montures de tournoi ; sur chaque
pavillon flottaient les armes de son propriétaire.
Les quatre premiers jours de la
rencontre furent consacrés aux joutes individuelles, aux défis que se lançaient
deux à deux les seigneurs présents. Certains voulaient leur revanche d’une
défaite essuyée dans une précédente rencontre ; d’autres, qui ne s’étaient
jamais encore mesurés, souhaitaient s’éprouver ; ou bien l’on poussait
deux jouteurs fameux à s’affronter.
Les tribunes s’emplissaient plus ou
moins, selon la qualité des adversaires. Deux jeunes écuyers avaient-ils pu, en
faisant démarches, obtenir les lices pour une demi-heure de grand matin ?
Les échafauds alors n’étaient que maigrement garnis de quelques amis ou
parents. Mais qu’on annonçât une rencontre entre le roi de Bohême et messire
Jean de Hainaut, arrivé tout exprès de la Hollande avec vingt chevaliers, les
tribunes menaçaient de crouler. C’était alors que les dames arrachaient une
manche de leur robe pour la remettre au chevalier de leur choix, fausse manche
souvent, où la soie n’était cousue par-dessus la vraie manche que par quelques
fils faciles à casser, ou bien vraie manche, chez certaines dames osées qui se
plaisaient à découvrir un beau bras.
Il y avait toute espèce de
personnes, sur les gradins ; car en cette grande affluence qui faisait
d’Évreux comme une foire de noblesse, on ne pouvait point trop trier. Quelques
follieuses de haut vol, aussi parées que les baronnes, et plus jolies souvent
et de plus fines manières, parvenaient à se glisser aux meilleures places,
jouaient de l’œil et provoquaient les hommes à d’autres tournois.
Les jouteurs qui n’étaient pas en lice,
sous couvert d’assister aux exploits d’un ami, venaient s’asseoir auprès des
dames, et il s’amorçait là des fleuretages qu’on poursuivrait le soir, au
château, entre les danses et les caroles.
Messire Jean de Hainaut et le roi de
Bohême, invisibles sous leurs armures empanachées, portaient chacun à la hampe
de leur lance six manches de soie, comme autant de cœurs accrochés. Il fallait
qu’un des jouteurs renversât l’autre ou bien que le bois de lance se brisât. On
ne devait frapper qu’à la poitrine, et l’écu était incurvé de manière à dévier
les coups. Le ventre protégé par le haut arçon de la
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