Le Lis et le Lion
pour observer la mêlée, répondit :
— Certes, vous ne parlez point
à tort, messire, mais vous négligez cet aspect du tournoi qu’il est un bon
entraînement à la guerre.
— Quelle guerre ? dit
Miles de Noyers. Croyez-vous donc qu’on s’en ira en guerre avec ces gâteaux de
noces sur la tête et ces manches festonnées qui pendent de deux aunes ?
Les joutes, oui, je vous le concède, entretiennent l’habileté au combat ;
mais le tournoi, depuis qu’il ne se fait plus en armure de guerre et que le
chevalier ne porte plus le poids véritable, a perdu tout sens. Il est même
funeste, car nos jeunes écuyers qui n’ont jamais servi à l’ost croiront qu’à
l’ennemi les choses se passent de pareille façon, et qu’on attaque seulement
quand on crie « coupez cordes ! ».
Miles de Noyers pouvait parler avec
autorité, car il avait été maréchal à l’armée, du temps que son parent Gaucher
de Châtillon débutait en la charge de connétable et que Brienne s’exerçait
encore à la quintaine.
— Il est bon également que nos
seigneurs apprennent à se connaître pour la croisade, dit le duc de Bourbon
d’un air entendu.
Miles de Noyers haussa les épaules.
Cela convenait bien au duc, ce couard légendaire, de prôner la croisade !
Messire Miles était las de veiller
aux affaires de la France sous un souverain que tous s’accordaient à juger
admirable et que lui, par longue expérience du pouvoir, tenait pour peu
capable. Une certaine fatigue survient à poursuivre des efforts dans une voie
que personne n’approuve, et Miles, qui avait commencé sa carrière à la cour de
Bourgogne, se demandait s’il n’allait pas bientôt y retourner. Mieux valait
administrer sagement un duché que follement un royaume ; or le duc Eudes,
la veille, lui avait fait une invite en ce sens. Il chercha du regard le duc
dans la mêlée et vit qu’il gisait au sol, renversé par Robert d’Artois. Alors
Miles de Noyers reprit intérêt au tournoi.
Tandis que le duc Eudes était
replacé debout par ses valets, Robert descendait de cheval et offrait à son
adversaire le combat à pied. Masse et épée en main, les deux tours de fer
s’avancèrent l’une vers l’autre, d’un pas un peu titubant, pour s’accabler de
coups. Miles surveillait Robert d’Artois, prêt à le disqualifier au premier
manquement. Mais Robert observait les règles, n’attaquait pas plus bas que la
ceinture, ne frappait que de taille. De sa masse d’armes, il martelait le
heaume du duc de Bourgogne, écrasant le dragon qui le surmontait. Et bien que
la masse ne pesât qu’une livre, l’autre devait en avoir le crâne rudement
ébranlé, car il commençait à mal se défendre et son épée battait l’air plus
qu’elle ne touchait Robert. En voulant esquiver, Eudes de Bourgogne perdit
l’équilibre ; Robert lui posa un pied sur la poitrine et la pointe de son
épée au laçage du heaume ; le duc cria merci. Il s’était rendu et devait
quitter le combat. Robert se fit remonter en selle et passa au galop,
fièrement, devant les tribunes. Une dame enthousiaste arracha sa manche que
Robert cueillit, du bout de la lance.
— Monseigneur Robert devrait
ces jours-ci montrer moins de superbe, dit Miles de Noyers.
— Bah ! dit Raoul de
Brienne, le roi le protège.
— Jusques à quand ?
répliqua Miles de Noyers. Madame Mahaut semble avoir trépassé un peu vite, et
Madame Jeanne la Veuve également. Et puis, il y a cette Béatrice d’Hirson, leur
dame de parage, qui a disparu, et que sa famille vainement recherche… Le duc de
Bourgogne agira sagement en faisant goûter ses plats.
— Vous avez bien changé de
sentiment à l’égard de Robert. L’autre année, vous lui paraissiez tout acquis.
— C’est que, l’autre année, je
n’avais pas encore à instruire son affaire dont je viens de diriger la seconde
enquête…
— Ah ! voici messire de
Hainaut qui attaque, dit le connétable.
Jean de Hainaut, qui secondait le
roi de Bohême, se dépensait follement ; il n’était pas de seigneur
important, dans le parti du roi de France, qu’il ne fût venu défier ; dès
à présent on savait qu’il recevrait le trophée du vainqueur.
Le tournoi dura une pleine heure au
bout de laquelle les juges firent sonner à nouveau les trompettes, ouvrir les
barrières et disjoindre les rangs. Une dizaine de chevaliers et écuyers
d’Artois, néanmoins, semblaient n’avoir pas entendu le signal et
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