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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ces long bow-men qui tous connaissaient Calveley. Deux chevaux pouvaient avancer de front dans la rue offerte à leur vue. Paindorge retint son genet pour se laisser devancer. Le grand Hugh recouvra la parole :
    – Je ferai en sorte que tu ne sentes pas ta captivité jusqu’à ce que le prince ait consenti à ta délivrance… Si tu vas quelquefois sans moi dans Bordeaux et que des hommes d’armes te soupçonnent d’être un prisonnier, tu leur diras que tu es à mon service… N’aie crainte pour ton langage : les Bordelais de souche s’expriment, eux aussi, avec une pointe d’accent.
    – Je croyais l’avoir perdu, révéla Tristan non sans rire.
    Les chevaux allaient lentement entre des échoppes soudainement vidées de leurs chalands et des marchands. Le dos contre l’étal, ils regardaient passer ces hommes auxquels le puissant soleil d’Espagne avait fait des faces de Mores. Quelques cris s’exhalaient :
    – Bienvenue !
    – Vive le prince Édouard !
    Tristan trouva ce réjouissement restreint, presque insincère. Calveley le dissuada de s’interroger :
    Vois ces étoffes ! Il y a de tout chez ce drapier : de la simple tiretaine au mactabas 6 ou au nachiz 7 en passant par la sanguine de Louvain, le brussequin d’Ypres et le drap naïf 8  !
    Tristan regarda les oreilles de Malaquin et devant, les façades sur lesquelles parfois les armes d’hast dressées dessinaient de mouvantes hachures.
    – Et à dextre, cet armurier ! reprit Calveley. Il n’y a pas qu’à Tolède que les haulmiers, les fèvres et les haubergiers œuvrent à la perfection… Et à senestre cette panneterie… et là, ces parchemins blancs comme neige…
    Derrière, Paindorge et Shirton parolaient sans que Tristan parvînt à déceler l’objet de leur conversation.
    – Tu verras des boutiques d’orfèvrerie sans pareilles… Et il te faudra aller prier à Saint-André dont la façade du Ponant touche aux murailles ; à Sainte-Croix qui est la grosse abbaye de Bordeaux ; à Saint-Seurin et à Saint-Michel qui est en état de finition… Tiens, à dextre, c’est la porte Saint-Eloi. Elle s’ouvre, comme celle que nous avons franchie, sur la seconde enceinte. La rue qui y mène conduit à la place du Marché où s’élèvent les hôtels des bourgeois puissants. Ils remplissent de loin en loin la bourse du prince, car il advient qu’elle soit vide… Tu verras moins de Juifs qu’en Espagne… Les femmes sont belles, avenantes… Elles dansent moins bien que les Sévillanes et les meilleures moins bien que Francisca.
    Sous la voûte obscure, le froy 9 des chevaux avait pris de l’ampleur. Quand il fut devenu moins bruyant, Calveley dit simplement :
    – Regarde, car en attendant que j’obtienne ta liberté, tu vas devoir vivre ici.
    La cité ressemblait à Paris. Cependant, elle était plus propre et atteignait apparemment au faîte de la puissance et de la fortune. Pour qu’elle revînt à la France, – s’il se pouvait qu’elle y revînt un jour -, il faudrait qu’une gangrène la corrompît de l’intérieur. Nulle armée, en effet, ne pourrait venir à bout d’une double ceinture de pierre garnie en permanence de maintes compagnies d’archers. Trop hautes, ces parois. Trop épaisses. Il semblait, par conséquent, que la cité vécût sans inquiétude et effectivement, plus on pénétrait à l’intérieur, plus les gens riaient après avoir ovationné le prince. On vivait certes, à Bordeaux, sur le pied de guerre ; mais de l’autre on dansait. Le plaisir semblait s’être enraciné ici ; il s’exprimait aussi bien par l’exultation des manants et des bourgeois que par les richesses en montre dans les boutiques.
    « Belle cité… et dans icelle », se dit Tristan, « toutes les vuiseuses 10 dont la noblesse et le commun sont avides. »
    Il n’en faisait point reproche à ces gens. Ils étaient des vainqueurs. Il retrouvait les éléments des festivités auxquelles il avait volontairement ou non assisté : les bannières suspendues aux fenêtres des façades à colombages parfois droites, parfois encorbellées ; les ficelles tendues d’une maison vis-à-vis d’une autre et sur lesquelles frémissaient des pennons coupés dans des tissus vieux ou neufs ; les écus en montre sur les portes des petits hôtels où, quand ils ne guerroyaient pas, les chevaliers rejoignaient leur épouse. Bien qu’il connût ces dispositions, ces couleurs, ces bourdonnements de voix criblés de

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