Le Peuple et le Roi
il
conclut que conformément aux règles d’une séance royale, il n’y aura pas de
vote : « Il est nécessaire d’établir les emprunts portés par mon édit.
« J’ai promis les États généraux pour 1792, ma parole
doit vous suffire. J’ordonne que mon édit soit enregistré. »
Il se lève, s’apprête à partir au milieu des murmures.
Tout à coup, le duc Philippe d’Orléans lance, debout, d’une
voix furieuse mais hésitante :
« C’est illégal ! »
Il insiste pour qu’on spécifie que c’est du commandement du
roi – son cousin – que l’édit est enregistré.
Louis, le visage empourpré par la surprise, l’émotion, bredouille :
« Cela m’est égal, vous êtes le maître. »
Puis d’une voix plus forte :
« C’est légal parce que je le veux. »
Louis est indigné par la « trahison » de Philippe
d’Orléans. Et Marie-Antoinette est plus encore que Louis scandalisée par le
comportement du duc d’Orléans qui semble vouloir s’imposer comme le chef des
adversaires de la politique royale. Il faut sévir, insiste-t-elle.
Le roi s’y résout.
Le duc d’Orléans sera exilé dans son château de
Villers-Cotterêts, et deux parlementaires qui semblent avoir agi de concert
avec lui seront emprisonnés à la citadelle de Doullens. Une députation du Parlement
tentera le lendemain de faire revenir le roi sur ses décisions.
« Je ne dois compte à personne de mes résolutions, leur
répond Louis XVI. Chacun est intéressé à la conservation de l’ordre public, et
l’ordre public tient essentiellement au maintien de mon autorité. »
Mais la foule, à la sortie du Parlement, avait porté le duc
d’Orléans en triomphe.
Et les parlementaires à Paris et en province affirmaient que
« la liberté individuelle était la plus sacrée des propriétés ».
Le parlement de Rennes déclarait :
« Les abus tolérés et l’oubli des règles amènent le
mépris des lois, et le mépris des lois prépare la chute des Empires. »
10
Louis se tait. Il écoute la reine puis Loménie de Brienne
qui l’exhortent à chaque séance du Conseil d’en haut à briser cette fronde
parlementaire, cette vraie rébellion qui d’un bout à l’autre du royaume, au nom
de la liberté individuelle, de la défense du droit, veut en fait entraver le
pouvoir royal, plier l’autorité monarchique.
Il écoute Marie-Antoinette qui siège désormais au Conseil. Elle
l’incite à la fermeté :
« Si on différait, on aurait moins de moyens pour
conserver et maintenir l’autorité du roi. »
Louis baisse la tête. Il a le sentiment angoissant que quoi
qu’il décide et fasse, il ne pourra ressaisir les rênes qui, sans qu’il sache à
quel moment précis, lui ont échappé.
Peut-être était-ce en 1774, quand, peu après son accession
au trône, il avait sur les conseils de Turgot annulé la réforme Maupeou.
Et maintenant, quatorze ans plus tard, le garde des Sceaux
Lamoignon propose des mesures qui reprennent pour l’essentiel ce que Maupeou
avait réussi à imposer.
Aujourd’hui, ce sont les parlements qui chaque jour veulent
arracher un pan du pouvoir royal.
Ils viennent de déclarer les « lettres de cachet
illégales, contraires au droit public et au droit naturel ». Elles
violeraient « les droits du genre humain, les principes fondamentaux de la
société, les plus vives lumières de la raison, les plus chers intérêts du
pouvoir légitime, les maximes élémentaires de la morale et les lois du royaume ».
Evidemment, Louis va interdire aux parlements de délibérer
sur ce sujet. Mais il sait que les parlementaires reprendront leurs assauts.
Et il est las, épuisé d’avoir ainsi à remonter ce rocher, qui
roulera de nouveau le long de la pente.
Il se sent impuissant. Il a envie de pleurer, comme lorsqu’il
lit ces lettres qu’on lui adresse et dans lesquelles on lui révèle comment la
reine continue de voir le comte Axel Fersen, qu’elle logerait même au château
de Versailles, et on l’invite à débusquer l’amant.
Il est face à son épouse aussi impuissant que face aux
parlements, ou bien à la maladie qui frappe sa famille, le plus âgé de ses fils.
Et l’une de ses filles est morte.
Mais le plus douloureux à accepter, c’est cette haine de
plus en plus violente, impudente, et qui s’exprime ouvertement.
Les auteurs qui ont écrit sur les murs de Paris « Parlements
à vendre, ministres à pendre, couronne à
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